Comme l’a pointé Mireille Fanon Mendes France, lors du sommet de l’Union africaine de mai 2013, cette organisation a produit beaucoup
de textes légaux et les a peu appliqués. Le Soudan du Sud et le Sahara
Occidental prouvent que ces textes ne sont pas la solution à tout et que la revendication du droit à l’autodétermination a peu de chances de s’arrêter
un jour. Il n’y a pas que l’Ua qui soit un appareil à produire des textes. Les
Nations unies n’interviennent réellement dans un conflit qu’une fois qu’il est terminé.
Personne ne doute que les puissances chercheront toujours à dominer et à s’ingérer,
elles ne seraient pas puissances, sinon. Il faut simplement se demander comment
elles y arrivent, c’est-à-dire qu’il faut identifier les circuits et les
réseaux formels ou informels qui le leur permettent et, plus important, il faut
se demander ce que méritent les peuples qui se laissent faire.
Parallèlement à l’insurrection de Frantz Fanon face à la
taxinomie colonialiste qu’il découvrit à l’hôpital de Blida, un autre
panafricaniste à sa manière, Malek Bennabi, disait que la colonisabilité est
préalable à la colonisation. Il serait intéressant de discuter s’il a eu raison
de le dire et s’il aurait constaté le même caractère aujourd’hui. En opposant
ces deux visions partiellement contradictoires, je plaide pour une remise en
cause de soi qui ne justifie pas le colonialisme. On pourrait se dire que
l’Histoire n’a pas à répartir les responsabilités, par chauvinisme ou parce que
la version adverse est faite pour. Seulement, le rapport de forces ne permet
pas toujours d’équilibrer la comparaison à la lecture. Si j’ai de l’indulgence envers
la pédagogie des manuels scolaires, je n’accepte pas qu’on veuille en faire des
manuels à vie. L’Histoire est censée servir, avant tout, à ne plus commettre les
erreurs du passé.
Le Maghreb,
lui, ne se considère africain que géographiquement. Il laisse aux politiques
les affaires touchant au continent. A tort, se dit-on, en découvrant ce qui se
passe depuis quelques mois au Mali, et en se demandant ce qu’on y faisait avant
la guerre. Plusieurs facteurs contribuent à ce détachement psychique du Maghreb.
La présence d’un Sahel séparant les climats et les couleurs de peau, sans
racisme pourtant, fait oublier le Sud. Le rôle des comptoirs maghrébins dans
l’ancien commerce des esclaves, rend l’Afrique subsaharienne méfiante sur l’africanité
du Maghreb. Ceci ne la retient pas de le traverser en s’aventurant vers la Méditerranée. Enfin ,
depuis les Ottomans, le Maghreb navigue vers le Nord, la compétitivité chinoise
et la crise européenne ne le détournant pas de son cap.
Le panafricanisme
est un héritage un peu encombrant. Si on l’enterre, on donne raison à Nicolas
Sarkozy qui a dit que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Si on le maintient, on ne l’actualise pas et son
efficacité restera relative, ponctuelle et régionale. Les empires coloniaux n’ont plus
les mêmes visages et Alger n’est plus la Mecque
des mouvements de libération. L’Afrique est un ensemble d’individus, de tribus,
de peuples, de nations, qui ont à être jaloux de leur indépendance et conscients
de leur dépendance plus ou moins conjoncturelle. Conscients de leur rôle au
sein des Etats, aussi. Dans l’actuel contexte mondial, ils doivent se
concerter pour chasser leurs prédateurs internes et externes, précédés d’éclaireurs
armés ou non. Dans le même temps, ils devraient revisiter leurs patrimoines culturels
afin de dégager les éléments de modèles nouveaux, plus philosophiques et moins
folkloriques, capables d’être des palliatifs à la culture occidentale qui
s’essouffle et qui les essouffle.
En regardant
autour des statues africaines, je me dis qu’il y a des hommes remarquables à
toutes les époques et que leur défaut est de venir entre les virages décisifs
de l’Histoire, là où le piédestal est bas ou au raz du sol. Quel que soit leur
classement, ces hommes commettent des erreurs, et les déifier décourage de
chercher à faire aussi bien ou mieux. En Algérie, le patriotisme de Houari
Boumediene ne l’a pas empêché de rater la diversification économique et de
laisser s’enraciner le népotisme dont souffre toujours le pays. S’ils
revenaient au pouvoir, ces hommes changeraient sensiblement de politique et
répondraient ainsi indirectement à Malek Bennabi.
Hichem Achi
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