La situation d’incertitude que vit l’Algérie en ce moment
n’est pas due à l’absence de Bouteflika, elle est la conséquence logique de sa
politique et de son économie. Parallèlement aux appels à appliquer l’article 88
de la Constitution ,
qui déclare l’état d’empêchement du président de la République , les appels
à un sursaut national se multiplient aussi. Ces appels ne seront jamais trop
nombreux, vu l’urgence et la léthargie dans laquelle est plongée la société
algérienne. Les propositions politiques font de la place aux actuels
responsables, par rupture dans la continuité ou par incapacité de faire
autrement. En dehors de ces propositions, comment pourrait se faire le sursaut
de cette insaisissable société civile ?
D’un, à un niveau individuel d’abord. L’attitude qui
consiste à se démarquer des autres en les désignant par « les
Algériens » ou par « le peuple » permet de se laver les mains de
leurs comportements, alors qu’on en est complice par sa similitude ou par son silence. La confusion entre abnégation et sacrifice pourrait paralyser la volonté. Il n’est pas demandé aux Algériens de se sacrifier mais
de s’appliquer dans leur travail. Ce n’est pas sans rapport avec la situation
du pays. La médiocrité démotive et pousse à l’abandon ou au départ,
affaiblissant le service public et bouclant un cercle vicieux.
De deux, en comprenant que, sans lucidité, la vigilance est simple
présence. Pire, elle est relais d’informations douteuses. Comme exemple, la photo
de ce qui semble être un document officiel signé par Bouteflika le 19 mai 2013,
et qui circule sur Facebook. Il s’agit peut-être du décret instituant le 22
octobre « Journée nationale de la presse ». Comment est arrivée là la
photo de ce document « officiel » et pourquoi ? Une des réponses
est dans la signature datée, qui en fait un bulletin de santé crédibilisé. Alors
que le gouvernement en est à jurer, vainement, quand bien même par Allah, que
le président se porte bien, les communiqués passent mieux sur Facebook qu’au
journal télévisé national. Devant cette dualité, je me demande si c’est par
médiocrité ou par intelligence que ce dernier ne s’améliore pas. Pas encore.
De trois, en demandant aux intellectuels algériens vivant à
l’étranger de s’impliquer ou de s’impliquer plus. Je parle de ceux, indépendants, que
le régime a poussés à partir. Par leur silence, ils me rappellent ceux qui se
sont tus pendant la guerre de libération et juste après. On dira que ces
derniers ont eu peur et que la situation actuelle est différente. Quel que fut
leur nombre et toute humaine que fut leur peur, leur attitude reste curieuse, eux
que la colonisation, aux moyens de répression considérables, n’a pas empêchés de résister. Le désintéressement des intellectuels algériens vivant actuellement
à l’étranger dit peut-être qu’ils considèrent leur exil comme la solution finale.
Si ça n’apprend rien de nouveau sur le taux d’amour que les Algériens réservent
à leur patrie, ça rend moins sincère leur anathème sur les indigènes assimilationnistes.
Je pense soudainement à ce jeu auquel j’ai joué étant enfant
et qu’on appelait Un, deux, trois, feu rouge. On devait s’arrêter de
progresser quand celui qui surveillait se retournait brusquement et disait feu
rouge. Sous d’autres cieux, les enfants y jouent en ne disant pas feu
mais soleil, piano ou autre chose. Je ne sais pas si notre spécificité
est due à l’inconscient ou à la prudence de nos aînés. Elle est édifiante, en
tout cas, et didactique de plusieurs points de vue. Avec ce jeu, on a trompé
les enfants, de leur naissance, ou avant, jusqu’au moment où leur taille leur a
permis de regarder derrière la clôture. Et je sais que l’herbe n’y est pas toujours
plus verte. Avec le concert 1, 2, 3 Soleils, des millions de jeunes
algériens ont cru, à tort ou à raison, que les études les encombrent et qu’ils peuvent
réussir, ailleurs, à coups de décibels, en se shootant ou en chahutant. Enthousiasmé
par le souvenir de mon enfance, je dis Un, deux, trois, sursaut. On
me dira quand fermer les yeux ou les ouvrir.
Hichem Achi
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