jeudi 6 mars 2014

Des épouvantails et des œillères


En Algérie, l’actualité politique de ces derniers jours ne prête pas à sourire. Avec un certain retard, sans doute par ras-le-bol et peut-être par infuse dose de défaitisme, je condamne la bastonnade et le fichage des manifestants pacifiques anti quatrième mandat. Mais quoi après la condamnation ? Participer aux présidentielles cautionnera la mascarade électorale et les boycotter n’empêchera pas de gonfler le taux de participation.

Comme à tous les rendez-vous, on titille la fibre patriotique en évoquant la convoitise étrangère, comme si nos richesses n’attiraient pas entre deux élections. En même temps, se plante un autre épouvantail, local, celui-là. Ali Belhadj, ex numéro deux du FIS dissous et qui voudrait se présenter.

Malgré la candidature de Bouteflika et les 32 parti(e)s politiques qui la soutiennent, le véritable candidat du système n’est pas encore définitivement identifié. Le fichage des manifestants pacifistes est une façon de prétendre que Bouteflika est le candidat du système. De même, le vol des signatures de soutien au candidat Rachid Nekkaz ne nous dit pas qu’il avait des chances d’être élu et qu'il faisait peur. Il nous dit que, s’il avait une chance, c’est que le scrutin ne serait pas si truqué que ça et qu’il faut y participer.

La solution n’est pas de voter massivement le tout sécuritaire pour faire barrage à la théocratie. Elle n’est pas dans la participation massive pour bloquer un candidat du système et en permettre un autre. Elle n’est pas dans le simple boycott. Dans le passé proche, le régime n’a eu vraiment peur que deux fois, de la désobéissance civile envisagée par le FIS dissous et de la rencontre historique de Sant’Egidio où aucun participant n’avait trahi. Aujourd’hui, en l’absence de plateforme civile fiable, c’est individuellement mais publiquement qu’on doit faire savoir qu’on boycotte.

Plus essentiel que cela, il faut se poser des questions. Pourquoi est-ce que rien n’a marché depuis l’indépendance ? Pourquoi est-ce que les Algériens affectionnent de plus en plus les photos en noir et blanc de leur pays ? La République que nous voulons est-elle adaptée à notre réalité ? Si un jour un candidat non issu du système est élu, pourra-t-il enclencher le changement que les Algériens refusent par leurs pratiques quotidiennes ? Le pot-de-vin, le favoritisme et le non-droit sont des pratiques de la société civile et pas seulement des gouvernants.

On pourrait se dire que le temps est la solution. C’est-à-dire que, contrairement à leurs parents, les enfants des anciens moudjahidine ne savent pas commander une armée. C’est-à-dire que la biométrie finira par rendre impossible le trucage des scrutins. Seulement, a-t-on le temps ? On doit continuer à dénoncer et à critiquer, pour rendre les dépassements plus difficiles, donc moins nombreux. Plus important, il faut relire son Histoire contemporaine et étudier le melting-pot. Démocratie ou pas, le peuple ne sera jamais au gouvernail et n’aura jamais d’asile, dans son pays ou sur une quelconque île paradisiaque. Il endossera toujours la dernière responsabilité et en paiera le prix. Un prix que les hydrocarbures n’arriveront bientôt plus à compenser.

Même si je deviens puissant, je concèderai son droit à qui de droit. Même si je reste pauvre, je n’accepterai de pot-de-vin de personne. Et, cette fois encore, je n’irai pas voter.


Hichem Achi