dimanche 29 mai 2011

Roma 11.5.11



Les Italiens s’attendaient à ce qu’un séisme dévaste Rome le 11 mai 2011. Près d’un Romain sur cinq a décidé de ne pas se rendre à son travail ou à l’école, le jour J. La prophétie qui a secoué la toile Internet, s’est accompagnée d’une infinité d’interprétations et d’argumentations. Les alarmistes ont argué que des séismes antérieurs avaient été prévus (ce qui n’est pas nécessairement divinatoire). Les illuminés, eux, ont annoncé la fin du monde pour ce printemps. Ils l’avaient déjà annoncé pour avant mais, comme à chaque fois, il suffit de dire qu’on s’est trompé dans ses calculs. On peut même lire certains relier le médiatisé séisme au Coran. La sourate ar-Roûm a été toute trouvée. Les exégètes du dimanche semblent ignorer qu’en arabe, les Roûm sont les Romains d’Orient (Byzantins), par opposition aux Roûmân qui sont les Romains d’Occident. La numérologie n’est pas en reste, puisqu’elle permet de faire dire ce qu’on veut aux chiffres. Je me permets d’ajouter un trouble pédagogique en faisant remarquer que le séisme de Lorca a eu pour magnitude 5,1 sur l’échelle de Richter. Encore 5 et 11…

Après que le séisme ait épargné Rome, l’humanité se donne rendez-vous pour une prochaine date. Je ne doute pas que les Espagnols rebâtiront Lorca et panseront les blessures. J’espère qu’ils se relèveront du séisme social qui les secoue.

Toujours en Italie, d’autres prophéties attendent de se conforter ou de contredire. Comme celle de la saint Malachie qui dit que le dernier pape s’appellerait Benoît. Je pense à la crise qu’a piquée le pape, interprété par Michel Piccoli dans le film Habemus Papam, mais je m’arrête. En attendant de dater la future ruine de Rome ou de la papauté, les Italiens (et les autres) devraient se rappeler qu’aucune prophétie n’avait annoncé la crise financière mondiale qui les fait souffrir plus que tout le reste.

Bien avant, les Mayas auraient calculé que la fin du monde aurait lieu le 21 décembre 2012, date supposée de la fin de leur calendrier. Or, ce calendrier ne se termine qu’en l’an 2220 et les mayas ne parlaient pas de « fin du monde » mais d’un « nouvel âge ». Une sorte de nouveau monde au sens spirituel.

A chaque fois, la conjoncture des planètes est invoquée pour donner une dimension scientifique qui étaye les dires et les nombres premiers sont à l’honneur. La préférence étant au 11, depuis les attentats de septembre 2001. La soif de connaître son avenir n’a pas fini de solliciter madame soleil et consorts. Tout le monde s’y met. De certains chefs d’Etat comme François Mitterrand à monsieur tout le monde, à travers le zodiaque dont le 13ème signe prédit toujours plus de tirage pour les journaux qui en usent. L’influence des planètes sur l’homme et son environnement pourrait se discuter, le phénomène de marée comme point de départ. Cependant, prétendre que la position des planètes peut révéler l’avenir est une idiotie.

Albert Einstein, lui, n’a jamais soumis l’astronomie à l’astrologie et n’a calculé aucune date pour la fin du monde. Il s’intéressait moins au « comment » le monde fut créé qu’au « pourquoi » de la création et il avait dit qu’il pourrait démontrer, par équation, que Dieu existe.

Comme tous les textes anciens, les prophéties sont une question d’interprétation. On se rappelle la petite panique qu’avait provoquée celle de Nostradamus (1503-1566), qui parlait de « feu » arrivant sur la Terre en 1999. Finalement, il s’agissait d’une éclipse solaire totale. Depuis, Paco Rabane a « fermé sa gueule » comme il l’avait promis mais les illuminés n’ont fait que reporter la date de l’apocalypse.

L’attrait de l’homme pour les prophéties n’est pas uniquement pour résoudre les énigmes. C’est aussi l’aveu du malheur de son présent et de la peur de son avenir. Il gagnerait à relire son Histoire. La mode du divinatoire ira très certainement crescendo et on cherchera de plus en plus les réponses à ses questionnements. Les sectes, elles, n’attendent pas. Elles enrôlent, s’exportent et se modernisent. Elles proposent le bonheur que ne donne pas l’Etat-Nation et la fécondité que ne donne pas Dieu. En un mot, les sectes interviennent lorsque les acteurs traditionnels de la vie ne satisfont plus aux attentes.

A Constantine aussi, des prophéties existent. Il paraît qu’on avait prévu que la ville tomberait un vendredi 13. Ce qui fut le cas en octobre 1837, aux mains des Français. Plus tard, Tahar Benelmouffok dit El M’râbet Tahar (le marabout) avait l’habitude de dire des inepties qui se vérifiaient… C’était sous forme de paroles ou de mises en scène. Voici une des ses prédictions.

Marchant en ville, il rencontra un homme conduisant un âne. Il attrapa l’âne par les oreilles et l’embrassa sur la bouche avant de lui demander : « Comment allez vous, ô très cher ? Ô noble, ô grand Monsieur … ». L’allusion était claire à certains futurs responsables qu’on allait louer malgré leur ignorance.

Lorsqu’on parle de lui, on n’hésite pas à en rajouter. Parfois volontairement, comme cela s’est passé pendant la première campagne électorale du président algérien Bouteflika, durant laquelle on avait diffusé cette fausse prophétie de Tahar Benelmouffok. Je ne me rappelle pas la totalité des mots et j’espère pouvoir corriger le plus vite possible.

الأول مـهـبـول
الثـاني غـول
الثـالـث بـهـلول
الرابع دايرين بيه الـعجـول
الخامس ...
السادس يموت مـقـتـول
و السابع على يده الحُـلول

Je traduis la pseudo prophétie sans la rimer et je rajoute les noms des présidents algériens ou équivalents pour rappeler l’ordre de succession.

Le premier est un fou  : Benbella
Le deuxième est un dragon  : Boumediene
Le troisième est un bouffon  : Bendjedid
Le quatrième est entouré d’imbéciles  : Kafi
Le cinquième est …  : Zeroual
Le sixième sera tué  : Boudiaf
Et le septième apportera les solutions  : Bouteflika

De nos jours, les seules bonnes prophéties et prédictions sont celles basées sur des études scientifiques et des évaluations argumentées. Cela s’appelle faire des prévisions. Des bienfaiteurs essaient de sensibiliser les gens en lançant des prophéties canulars, comme celle écrite et publiée en 1997 par le Canadien Neil Marshall puis arrangée (rajout du dernier vers) par d’autres pour donner l’impression qu’elle parlait de l’écroulement du World Trade Center. Le texte a été traduit comme ceci :

Dans la cité de Dieu il y aura un grand tonnerre
Deux frères seront séparés par le chaos
Pendant que la forteresse endure
Le grand meneur succombera
La troisième grande guerre commencera quand la grande cité brûlera


Je pourrais tout aussi bien m’amuser à en balancer une à propos de l’Algérie. En voila, tiens !

Barbarie se libérera
Après Rome s’élira hoir
A la mer on se jettera
A plèbe ne profite eau noire

Je ne commente pas et je laisse les lecteurs le faire, y compris pour le mélange des temps de conjugaison.
Mahomet (qsssl) a eu raison de dire que les astrologues mentent même s’ils disent vrai. Lui qui a traité la question lorsqu’un fidèle lui demanda « quand aura lieu l’apocalypse ? » et qu’il lui répondit « Et qu’as-tu préparé pour ? ».

Il a également exhorté celui qui va planter un arbre, à le planter même si l’apocalypse commençait au même moment. Magnifique conseil pour nous dire qu’il n’est jamais trop tard pour faire le bien. L’essentiel n’est pas de connaître la date exacte de la fin du monde mais de faire en sorte que le monde soit le meilleur possible jusqu’à sa fin.



vendredi 27 mai 2011

Le règne des réseaux



Sur initiative de la France, le G8 qui se tient ces 26 et 27 mai à Deauville, se fait précéder par le e-G8 Forum. Une rencontre regroupant les plus grands acteurs d’Internet (1) pour essayer d’organiser son économie. On envisage d’étendre le projet au G20 puis à la planète par le biais de l’ONU. Remarquable réplique au changement de données dû à l’émergence de nouvelles puissances économiques. Les pays du G5 détenaient 70% de la richesse mondiale lorsqu’ils se sont réunis pour la première fois en 1974. Aujourd’hui, ils n’en détiennent plus que 43% et ne représentent que 13% de la population mondiale. Nonobstant le passage du G5 au G8, il fallait réagir pour ne pas perdre le monopole.

On disait du G8 et du G20 qu’ils ne servaient qu’à faire de jolies photos souvenirs. Les seules véritables rencontres étant celles qui se faisaient en tête-à-tête, notamment entre les Etats-Unis et la Chine. En réalité, à chaque rencontre du G8, le classement des duos par degré d’importance est fonction de l’acuité des questions conjoncturelles, inscrites ou non à l’ordre du jour. Pour ce rendez-vous de Deauville et à la lecture de l’actualité, des pays souvent traités de figurants, comme la France, décrochent des rôles d’affiches. La France se redéploie culturellement avec l’ouverture du Louvre Abu Dhabi, elle a initiative dans les conflits en Libye et en Côte d’Ivoire et elle nomine Christine Lagarde à la tête du FMI après son compatriote. Ceci propulse le pays au devant de la scène internationale. De Cannes à Deauville, Nicolas Sarkozy aura grimpé des marches et pas seulement avec La Conquête. En tout cas, avec le e-G8, la question de l’utilité de ces rencontres vient de trouver sa réponse. Question parallèle : faudrait-il deux ou trois chiffres après le G pour que l’Algérie y soit définitivement admise ? Le classement CNUCED donne une idée dudit chiffre (2).

Tout spécialement après les dégâts de la dernière crise financière mondiale (il peut y en avoir d’autres), le chiffre d’affaires du commerce sur Internet donne le tournis et l’eau à la bouche. 8 000 milliards de dollars, rien que ça. On comprend alors que les appétits s’aiguisent et que la bataille, pour s’accaparer des parts de cet immense marché, ne fait que commencer. D’autant que ce sera le commerce qui devrait souffrir le moins de blocages frontaliers. Un Shengen commercial planétaire, en quelque sorte. Le rêve. Quand je dis le moins de blocages douaniers, je parle des pays où l’Etat de droit est acquis. Pour les autres, la douane officieuse pourrait très bien élire domicile chez les fournisseurs d’accès à Internet, par exemple.

Avant le G8, le G7 avait tenté de réunir trois savants par pays, pour essayer de mettre en place une plateforme pour synthétiser le savoir et la philosophie de la science. Michel Serres, qui en a été, reconnaît que ce fut un échec 3. Les savants n’ont pas réussi à se mettre d’accord à cause des différences culturelles et religieuses et ont donc décidé de s’arrêter au bout de trois rencontres. Michel Serres ne s’en étonne pas et confirme l’inutilité de cette initiative car « la science était déjà universelle depuis des millénaires ».

Le e-G8, lui, n’aborde pas cette question. La science redevient moyen et non fin. Le besoin de savoir, commanditaire de la découverte, n’en sera pas enterré mais le débat sur la contribution de la science au bonheur de l’humanité se poursuivra ailleurs. Par contre, lors de ce premier e-G8, il est question non seulement de commerce mais de politique. L’échec de l’intégration des pays en voie de développement dans l’économie mondiale n’est sûrement pas dû uniquement à la CNUCED. Cependant, l’OMC a surgi pour prendre la place, avec des objectifs pas nécessairement similaires. Aujourd’hui, l’incapacité de l’ONU à apporter des réponses aux interpellations qui lui sont destinées, pousse à envisager un gouvernement mondial. Le e-gouvernement. Ses promoteurs disent qu’il est pour plus de démocratie et de transparence, que les internautes pourront y accéder et/ou y participer et qu’il sera modifiable, voire supprimable, à tout moment. J’espère que c’est vrai et que sa charte ne sera pas le Web Patriot Act.

Le commerce par Internet annonce-il la fin des traditionnels comptoirs, show-rooms, foires et expos ? Pas tout de suite. En attendant de savoir qui supplantera l’autre, les questions sont ailleurs. D’une : quels avantages et quels inconvénients ? De deux : a-t-on le choix ?

Sur la première question, comme avantages, le e-trading permettra peut-être de résorber les déficits des économies des pays développés 4 en prenant la relève des planches à billets. Il diminuera l’énergie grise et stimulera la matière de même couleur. Quelques internautes s’enrichiront en inventant des services qu’ils monnaieront ou en sachant investir aux nouvelles bourses. Car il s’en créera de nouvelles.

Comme inconvénients, le e-trading ne sera pas palliatif au fait que l’agriculture occupe aujourd’hui 1% de la population mondiale alors qu’elle en occupait 15 dans le passé. Il sera probablement impossible de poursuivre tous les plagiaires et trafiquants. Beaucoup d’internautes seront ruinés, en jouant aux bookmakers, au poker ou en ne sachant pas investir aux bourses traditionnelles. Car ils auront peur des nouvelles, comme les perdants ont peur de la nouveauté.

Finalement, le e-trading sera un moyen comme un autre, c’est-à-dire utilisable à bon ou à mauvais escient.

L’Algérie, elle, est actuellement parmi les pays qui fournissent les 1,5 litres de pétrole nécessaires à la fabrication d’un ordinateur, moins pour un téléphone. De ce fait, elle pourrait se frotter les mains en pensant que le e-trading augmentera le nombre d’appareils et de machines dans le monde. Il ne faudrait pas qu’elle s’endorme sur ses lauriers et qu’elle oublie de se diversifier. Qu’elle reconstruise ou non son industrie et son agriculture, elle n’a pas d’autre choix que de rebondir sur cet évènement pour améliorer la qualité de son réseau Internet et les services périphériques. De toutes façons, même le commerce des hydrocarbures sera soumis à la spéculation sur Internet. Quoi qu’on fasse, le seul choix qu’on a est celui de suivre ou de rester sur la marge. Ceci pour répondre à la deuxième question.

J’en viens aux courants d’idées présents au e-G8 Forum, pour dire qu’à force de vouloir le tout payant, on risque d’exclure les pays les moins développés, plus qu’ils ne le sont déjà. En plus de la pénalisation commerciale, l’espace de liberté qu’est Internet, deviendra une frustration de plus et une raison supplémentaire pour souhaiter ou provoquer les révolutions. La cyber criminalité et le e-terrorisme augmenteront avec le reste, ça c’est sûr. Prétendre disposer des moyens adéquats pour lutter contre ces fléaux serait faux. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter le processus. Le risque zéro n’existe pas et il faut faire confiance aux générations montantes pour trouver des solutions aux problèmes qui se poseront.

La tendance actuelle à aller vers les contenus payants sur Internet, pénalisera également les internautes qui n’ont pas la possibilité de payer, pour diverses raisons. Pour ne parler que de l’Algérie, le paiement on-line par carte bancaire n’est pas encore disponible. Sans parler du risque de se faire voler son numéro de carte, ce à quoi il n’existe pas encore de parade rassurante. Le tout payant est privilégié par le magnat Rupert Murdoch, entre autres.

Heureusement que les avis divergent et que différents courants sont représentés. A contre-courant de Murdoch, Jimmy Wales opte pour la gratuité et le partage de l’information. Je sais comme lui que les réseaux sociaux tels Facebook n’ont pas été conçus par militance humanitaire. Ce sont de colossales banques de données destinées à être vendues aux e-traders. Les données personnelles des adhérents sont autant d’informations qui permettront de cibler les clients potentiels en fonction de leurs goûts et de leurs affinités. Sûrement pas en fonction de leurs besoins. Le besoin étant, depuis longtemps, créé par le vendeur pour être proposé à celui qui ne l’éprouve pas.

Pour ce qui est des droits d’auteurs et de la propriété morale, il faut distinguer entre plagiat et emprunt. Le premier est répréhensible, le second est acceptable du moment qu’il n’est pas lucratif et qu’il mentionne la source.

Je me joins à certains participants au e-G8 Forum et je soutiens la fin de l’anonymat, pour barrer la route à ceux qui injurient en se cachant derrière des pseudos plus prétentieux que les contenus de leurs commentaires. Cependant, la fin de l’anonymat doit être accompagnée de mesures garantissant la liberté d’expression. Faute de quoi, l’interface Web sera le plus grand indic au service des dictateurs. Demander à ce que des ONG, comme Human Wrights Watch, soient partenaires de ce projet est peut-être optimiste, mais l’ONU ou le e-gouvernement devrait exiger la possibilité de rester anonyme, pour les internautes des pays classés comme dictatures.

Le monde est plus urbanisé, plus connecté. Ce qui n’a pas changé et qui ne changera pas, c’est qu’il y a des leaders et des suiveurs. Au bout de ce premier bilan, je suis plutôt pour le e-trading. Le tout étant de savoir se positionner au niveau de cette nouvelle toile afin de ne pas être exclu du ‘e’ après l’avoir été du ‘G’.



Notes :
1. Parmi les participants au e-G8 Forum de mai 2011 : Jeff Bezos (Fondateur et PDG d'amazon.com) ; Rupert Murdoch (PDG de News Corporation et propriétaire de MySpace) ; Eric Schmidt (Président exécutif de Google) ; Jimmy Wales (Cofondateur de Wikipedia) ; Mark Zuckerberg (Cofondateur et PDG de Facebook).

2. Voir le rapport de la CNUCED pour 2010 sur http://www.unctad.org/en/docs/wir2010_en.pdf p.176.

3. Cf. Intervention de Michel Serres pendant l’émission Ce soir ou jamais du 26 mai 2011, sur France3.

4. A titre d’exemple, le déficit commercial des Etats-Unis est d’environ 1 500 Mds de dollars et va en augmentant.


jeudi 26 mai 2011

Séismes euro méditerranéens



Après la décapitation partielle de l’hydre Al-Qaida, Barack Obama revient sur la scène internationale. Cependant, à l’issue de sa récente rencontre avec Benyamin Netanyahou, aux Etats-Unis, il n’aura pas pu persuader de faire la paix au Proche-Orient. Une paix que rejette le premier ministre israélien pour prouver que le bellicisme se décide depuis Jérusalem, la cité de la paix. Entre ces murs, Netanyahou ne se lamente pas, il planifie la colonisation des territoires palestiniens qu’il fait semblant de voir inhabités. Il prétend que les Palestiniens ne veulent pas reconnaître Israël. Ce fut le cas avant mais plus maintenant. Et le prétexte des frontières indéfendables du plan de 1967 est fallacieux. Preuve en est, les actuelles frontières n’ont pas pu empêcher les agressions mutuelles et même les incursions et les rapts. Netanyahou doit savoir qu’il constitue actuellement le plus grand danger pour Israël et pour toute la région.

Toujours en Méditerranée, les Espagnols répliquent au séisme de Lorca et secouent leurs politiques. Ils sont inspirés par les Hellènes et les Arabes et exhortés par Stéphane Hessel. Dans son livre Indignez-vous, Hessel se demande comment une Europe riche n’arrive pas à réaliser ce qu’a pu un Conseil de la Résistance pauvre. Il répond en disant que c’est parce que les lobbies bancaires ont réussi à placer leurs serviteurs au sein des gouvernements.

Contrairement aux Arabes, les Espagnols ne demandent ni le départ du premier ministre ni celui du roi. Ils n’ont pas à le demander parce que ces deux détenteurs de pouvoirs sont légitimes, eux. Zapatero leur avait promis une économie plus puissante après le plan d’austérité de 1996 amis n’a pas réussi à cause de la non diversification. Aujourd’hui, les usuriers de la planète leurs commandent de passer à la caisse. Les Espagnols qui en sont à vendre leurs objets personnels pour survivre, renvoient dos-à-dos leurs deux principaux partis politiques. Ils s’entraident et recueillent les suggestions des uns et des autres. Louable en soi. Que les Espagnols me pardonnent quand je dis que la kermesse altermondialiste de la Puerta del Sol, à Madrid, n’ira pas loin. Elle ne donnera de résultats que si la société civile s’organise d’une façon durable. Je m’explique.

Un autre monde est possible mais il ne peut venir que progressivement car celui actuel n’est pas encore prêt et tout changement radical et rapide se solderait par un échec. Le mouvement « peace and love » de la fin des années soixante n’a pas essaimé parce qu’il était utopique. L’altermondialisme qui a pris la relève est noble dans ses objectifs, désordonné dans ses méthodes. Le seul changement efficient est celui que chaque individu s’imposera à lui-même, tout en encourageant les autres à changer eux aussi. En l’absence de palliatif, même avec Eric Cantonna, le monde aura encore besoin de banques dans le futur et le tout est de trouver la solution pour contraindre ces dernières à réfréner leur appétence pour le gain. Alors, comment s’organiser de façon durable ? Dans l’immédiat, en développant les réseaux d’entraide qui naissent, et là, Internet devient un moyen logistique intéressant. Dans l’après immédiat, en organisant des rencontres d’étude pour réfléchir aux moyens de lutter contre les aspects négatifs de la globalisation. Une erreur à ne pas faire est celle de la démocratie populiste, celle qui permet à tout un chacun de proposer. Les boîtes à suggestions que les Espagnols ont mis en place sont simplement un improvisé et colérique palliatif aux organes législatifs. Un exutoire bénin. Cela ne pourra pas perdure car cela donnera une montagne de propositions où le saugrenu aura bonne place et le pratique peu ou prou.

Le rejet des grandes tendances politiques aurait pu être une chance pour les autres formations (centristes, communistes, écologistes) mais ce sera l’extrême droite qui en profitera. Pas parce qu’elle propose de bonnes solutions mais parce qu’elle remplace le langage de la raison par celui du cœur. Le seul langage qu’on est prêt à comprendre lorsqu’on est paniqué par sa précarité et par l’incertitude de son lendemain. Pour dire que cette droite n’a pas tout faux, un certain protectionnisme serait le bienvenu en ces temps durs. En moins strict, quand même. Par contre, tout retour à l’Etat-Nation non fédéré (pour le moment) ou séparatisme serait affaiblissement. Les Européens savent déjà que, théoriquement, on résiste mieux lorsqu’on est uni mais ils en doutent lorsqu’ils voient s’effilocher les principes de solidarité sensés régir les relations entre pays de l’UE. L’Allemagne refuse de payer pour la Grèce et l’Italie se débarrasse des Tunisiens de Lampedusa en les expédiant en France. En même temps, on remarque que les séparatistes sont généralement les plus riches. La Ligue du Nord en Italie, les Flamands en Belgique, les Catalans en Espagne. Ce séparatisme là est égoïste. Des cas exceptionnels existent comme pour les Irlandais du Nord, motivés par la rancune et la religion.

En Algérie aussi, le séparatisme existe pour des raisons politiques et linguistiques. La gestion lamentable des affaires de l’Etat ne justifie pas tout et un affaiblissement certain s’ensuivra pour le pays si les séparatistes algériens devaient arriver à leurs fins. Difficile de persuader ces tenants que le verre est à moitié plein. Ils voient que la manne pétrolière qui s’est présentée à l’Algérie n’a pas servi à préparer l’après pétrole, en remettant sur pied l’agriculture et l’industrie, trucidées par les barons de l’import-import. Qu’elle n’a pas servi à améliorer les qualifications des Algériens pour consolider la plus grande richesse de tout pays, à savoir sa population. Au lieu de cela, le gouvernement distribue l’argent pour éviter la grogne, par peur d’être la prochaine échéance sur le calendrier du printemps arabe. N’empêche que l’union fera la force même si elle sera multilingue et il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Les Espagnols, les Français et les autres ne doivent pas tomber dans le piège du nationalisme. Il est normal d’actualiser ses politiques d’immigration mais le plombier polonais et le serveur tunisien, ne sont pas responsables de la crise, ils en sont victimes. Limiter le nombre d’immigrants est compréhensible, le réduire à néant est suicidaire. Un pays qui n’attire plus d’immigrés est un pays fini.

En Méditerranée et autour, les peuples se révoltent. Après les Islandais, les Irlandais, les Portugais, les Grecs et les Espagnols, à qui le tour ? Plus au Sud, après la Tunisie, l’Egypte, la Libye,  le Yémen, la Jordanie, le Bahreïn, la Syrie, l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie, à qui le tour ? Je crois que nous ne sommes qu’au début d’un vaste mouvement de remise en cause des politiques économiques dans le monde. Des signes assez forts pour que le malaise des mécontents soit sérieusement considéré. Et si, en bons pompiers, on essayait d’éteindre ce feu avec l’eau de la Méditerranée ? La citerne bienfaitrice est bien au centre, non ? On dira que la citerne est déjà pompée. Oui, mais ceux qui vivent autour sont pompés mais ne pompent pas.

Certains demandent le pouvoir d’achat, d’autres l’Etat de droit. Ils se rejoignent tous pour demander la dignité. Dans tous les cas de figures, ces peuples ne demandent pas la lune, ils veulent juste être respectés et heureux. Or, cela est possible. Bien sûr qu’il est difficile de rendre heureux tout le monde mais, à défaut de décréter le bonheur, il faudrait commencer par ne pas le prohiber.


dimanche 22 mai 2011

Panne durable sur blogspot.com

Suite à la panne qui perdure sur blogspot.com,
l'auteur informe les lecteurs que ses articles
sont disponibles sur mon autre blog.

Il s'excuse de ce désagrément.

lundi 16 mai 2011

Jésus et Mahomet s’aiment, eux



Des coptes se seraient fait agresser et des inconscients appellent à la croisade ou au djihad. D’après certains musulmans, une femme serait retenue de force par les chrétiens pour ne pas se convertir à l’islam. Ce qu’ils disaient déjà il y a quelques mois. Personne ne devrait empêcher quelqu’un de se convertir. Dans un sens ou dans l’autre. Si cela est vraiment le cas, ce n’est pas à la population de s’en charger mais au gouvernement. Aucune force n’est meilleure que celle officielle et un Etat fragilisé par la transition vaut mieux qu’un Etat autoproclamé par quelques citoyens échauffés.

Je ne crois pas que les coptes soient persécutés. C’est bien connu, la minorité suscite toujours la compassion et la sympathie va toujours au plus faible. D’ailleurs, il arrive que ceux qui appartiennent à la majorité fassent semblant de la quitter pour devenir minoritaires. Cela peut se concrétiser par une pseudo conversion au christianisme, dans un pays musulman, par exemple. En un mot, il faut parvenir à faire pitié. Mais, attention ! A force de crier au loup, on risque de ne plus jamais voir arriver de garde forestier à la rescousse.

Il est possible que si les musulmans d’Egypte étaient minoritaires, ils se prétendraient persécutés. On dira que les chrétiens font moins parler d’eux. Oui, mais cela est dû au fait que le christianisme considéré comme représentatif est celui de l’Eglise d’Occident, donc celui de l’Europe. Les musulmans, essentiellement au Sud, sont dans un autre état d’esprit, de par leur climat et leur Histoire. Ils n’ont pas eu le parcours des Européens qui ont souffert de l’Eglise au point de n’y regarder qu’une fois par an, après le Père Noël.

Je ne suis pas en train d’affirmer qu’il n’y a pas eu d’agression et je sais qu’il y a des imbéciles partout. J’appelle simplement ceux qui animent le tohu-bohu à ne pas s’abasourdir par leurs propres cymbales, à en oublier de calmer au lieu de stigmatiser. Et puis, la région a déjà fort à faire, entre ceux qui ne veulent pas que les Palestiniens aient un Etat et ceux qui veulent que les Israéliens n’en aient plus.

Les coptes doivent se rappeler que Jésus (qsssl) tendait sa deuxième joue quand avait été frappée sa première. Les musulmans doivent se rappeler que Mahomet (qsssl) avait permis aux chrétiens de prier dans sa mosquée. Je ne demande pas aux coptes de tendre leurs joues ni aux musulmans de donner leurs mosquées. Je demande aux deux de comprendre qu’ils sont à bord d’un même bateau qui tangue.

Lors de l’Ascension ante mortem (Isrâ’ wa Miعrâdj) de Mahomet (qsssl), lui et Jésus (qsssl) se sont rencontrés. En 2011, les musulmans et les coptes ont prié côte à côte sur la place Tahrir. Jésus et Mahomet s’aiment, eux, alors pourquoi leurs adeptes se détesteraient-ils ? Quant aux croisés virtuels et cyber moudjahidine, l’Egypte n’a pas besoin qu’ils rajoutent à ses soucis. Alors, qu’ils aident ou qu’ils se taisent.



dimanche 15 mai 2011

Cannes raconte Paris


Du 11 au 22 mai, le jury de l’édition 2011 du Festival de Cannes sera présidé par Robert de Niro. Un géant qui ne doit pas son talent (ça s’écrit comme ça) aux bottes d’un chat miaulé par Antonio Banderas. Perrault pardonnera sûrement la numérisation pour les adultes-enfants et pour Selma Hayek. Que l’expo des chaussures de De Niro ait lieu, si cela amuse. Après tout, Eddy Mitchell a bien exposé et vendu ses santiags en apprenant que Walker Bush avait les mêmes.

En ouverture hors compétition, Midnight in Paris, de Woody Allen. Certains ne veulent pas voir le film juste parce que Carla Bruni y apparaît. Carla Bruni n’est pas seulement la femme d’un président critiqué à volonté. Elle est la sœur d’une certaine Valeria Bruni Tedeschi, gentille pas seulement à l’écran, pour prouver que ce calme est de famille. Désolant, que le nom du conjoint arrive à faire oublier la valeur intrinsèque et à interdire de monter les célèbres marches. Nicolas Sarkozy en a fait couler de l’encre et de la salive. Il a également permis à des inconnus de devenirs stars et de vendre beaucoup de livres mais ne permet pas à sa femme de vendre plus de CD. Pas si dispendieux qu’on le dit, comme président. Des attaques indirectes du genre avaient déjà eu lieu dans le passé et on peut citer l’exemple de Audrey Pulvar qui a vu son émission injustement suspendue parce que son compagnon s’appelait Arnaud Montebourg. Il est navrant de constater que ce sont toujours les femmes qui paient. Pour l’égalité des sexes ou par simple galanterie ?

Plus au Sud, c’est l’inverse. Une femme artiste aura toutes les peines du monde à arracher la reconnaissance même si elle a du talent. Il suffit, par contre, qu’elle devienne compagne ou conjointe d’un homme politique pour que les portes s’ouvrent et qu’elle soit cotée en l’absence de marché.

La tendance des politiciens à dévoiler une partie de leur vie privée répond à un autre phénomène : la saturation du public par la politique. Les incertitudes et les peurs conjoncturelles stimulent l’appétit pour les détails. Comme si le fait de savoir qui est le père de la fille de Rachida Dati ou si Carla Bruni est enceinte, allait évacuer les crises. Plus simplement, le public a besoin de savoir que ceux qui le gouvernent ne sont pas des machines qui produisent et exécutent des décrets mais des êtres humains qui ont des sentiments. Valéry Giscard d’Estaing a eu raison de dire qu’aucune tendance politique n’avait le monopole du cœur.

Je reviens au Paris des années 1920 de Midnight in Paris, un hommage à l’entre-deux-guerres et une confirmation du fait que chacun de nous vit avec un cliché dans la tête. Pourquoi pas si ça permet d’être moins malheureux. A Cannes, Woody Allen fait fantasmer le Nouveau Monde sur le vieux quand certains disent ce dernier sénile.

Si Woody Allen était né quarante ans plus tôt (il est né en 1935), il aurait pu connaître l’école de Paris pour s’inspirer de son éclectisme. Il aurait pu côtoyer Aragon, Picasso ou même Breton, pour ajouter une touche plus surréaliste à ses scénarios qui font la part belle à la nostalgie et au regret.

Après les années 1920, Woody Allen est plus apprécié en France qu’aux Etats-Unis mais il ne s’est pas installé à Paris comme il l’a toujours souhaité. Il l’aura quand même fait avec Midnight in Paris, en se projetant en Owen Wilson et en 400 salles. Il n’a pas pu, non plus, rencontrer Brigitte Bardot comme il aurait aimé. Peut-être n’aurait-il mangé que conformément au Guide Michelin après l’avoir rencontrée mais, à coup sûr, elle n’aurait pas pu le persuader de tourner Friday Jambon Beurre in Paris. En 2011, les films d’Allen restent à voir et ses scénarios à lire entre les scènes.

Le 18 mai, seront projetés La Conquête et Pirates des Caraïbes 4 qui ne veut pas vieillir comme les autres trilogies et va au-delà, vers la jouvence. Le premier est intéressant et dévoile une grosse détestation. Le second est sans intérêt et dévoile un gros cachet. La participation maghrébine sera symbolisée, le 20 mai, par le documentaire Plus jamais peur du Tunisien Mourad Cheikh. Je reviendrai dessus inch’Allah.

Le Festival de Cannes est international mais les Algériens n’y ont pas droit. Les droits d’auteurs et la parité du Dinar rendent la chose difficile. Hadopi la rend dangereuse. Pourtant, le festival est censé être une fenêtre sur la culture de la France qui inspire les autres en s’en inspire en retour. Le lucre aura eu raison de tout et tant pis pour ceux qui n’auront pas de Mastercard. A défaut, on se contentera de consommer du froid, ramené à la sauvette depuis les rangs centraux des salles de cinéma françaises qui relaient le festival. Merci Sony !


samedi 14 mai 2011

Hadj Abderrahmane, un dramaturge en rire




Régulièrement, les télés algériennes rediffusent les films de Hadj Abderrahmane (1941-1981), alias Inspecteur Tahar. Son film à succès, les Vacances de l’Inspecteur Tahar1 (1973), est chaque fois plus censuré, à en devenir court-métrage. Vigilance de sainte nitouche qui guette le moindre smack. Fausse pudeur, quand tu nous tiens !



L’enfance difficile de Hadj Abderrahmane et ses débuts au théâtre le destinaient tout naturellement au drame. Quand on est cameraman, on apprend à observer les gens dans le détail et il a compris que les messages passent mieux avec le rire, même s’ils ne seront par compris par tous. Je vois sa courte scolarité comme la manifestation de sa clairvoyance précoce. Il avait compris qu’il ne servait pas à grand-chose de faire de longues études.

De courte vie et filmographie, il n’a pas été nominé aux festivals algériens de cinéma, mort-nés après lui. A l’image d’un certain festival de Annaba, avec un Jujube d’Or (Annaba vient de annab : jujube) pour récompenser les meilleurs. Je ne sais pas si le festival s’est arrêté par bétonnage au dessus des jujubiers. Je sais que les Egyptiens participaient en force et que la froideur des relations, entre l’Algérie et le plus grand producteur cinématographique arabe, ne donne pas la relance pour demain2. La même froideur a poussé les télés algériennes à ne plus diffuser de feuilletons égyptiens. A la place, elles diffusent des telenovelas doublées dont les héros ont les yeux bridés. L’approvisionnement depuis l’Asie n’est pas uniquement parce que la culture de l’Est n’est pas celle d’un ex colon. Le prix y est pour quelque chose.

Parlant des salles de cinéma algériennes, celles-ci sont vétustes. Il ne serait pas très intelligent de les remettre en état pour qu’elles fonctionnent comme avant. Elles ne pourraient pas être équipées pour des spectacles à technologies nouvelles comme le cinéma en 3D. Je serais enclin à en faire des théâtres pour enfants, puissent ces derniers inculquer l’esthétique qu’ignore l’école. En Algérie, l’avenir est au home cinéma via internet. Deux problèmes relativement surmontables se poseront : la faiblesse du débit et les droits d’auteur. Le sujet est long et j’en parlerai plus tard inch’Allah, parallèlement au Festival de Cannes.

Les Vacances de l’Inspecteur Tahar se déroule en grande partie dans les complexes ex touristiques algériens. Un vestige des splendeurs du passé, quand l’accueil était chaleureux et l’eau coulait dans les robinets. Il n’y avait pas de télécommandes dans les chambres mais mes commandes étaient honorées. Comme quoi, la technologie ne peut pas améliorer le quotidien lorsque la mentalité le pourrit. Depuis, ces hôtels sont devenus quasiment tous des lieux de débauche où des cuistots servent la même chose que ce qui se mange dans les gargotes. Service comateux, nappes mitées et addition salée en sus.



C’était l’époque où chaque côte avait son unique complexe touristique comme chaque région maraîchère son village agricole et sa portion d’autoroute. Ca permettait d’aller avec son tracteur passer la journée au café du village pendant que les femmes travaillaient la terre à la pioche. C’est toujours de mise, du reste. Les Sociétés Nationales étaient déficitaires, la Banque Centrale payait les salaires des improductifs et on distribuait les bénéfices sous caméras et applaudissements. La belle époque, paraît-il. Quand j’entends des universitaires algériens dire que « si Boumediene était vivant, on n’en serait pas là », je me dis que instruction et réalisme font deux. Ce qui ne m’empêche pas de reconnaître l’intégrité de l’homme.

Dans le film, à l’Inspecteur Tahar que dérangeait le bon niveau d’instruction de son Apprenti (Yahia Ben Mabrouk), ce dernier dit : « Si tu ne veux pas perdre ta place, fais des études ». Depuis, le message a bien été entendu et les diplômes ont été tirés à la série et en veux-tu en voilà. Une université du soir a même été fondée pour ça, qui n’exige ni présence ni baccalauréat.

L’Apprenti, compétent, polyglotte et subalterne au cancre, délivre un message clair : les instruits n’ont pas d’horizon lumineux face à eux et les plus calés sont souvent décalés. Ultime dénigrement, l’Apprenti se fait rabrouer quand il dit vrai. Un exemple est dans la scène saharienne où le duo file, en voiture, madame Watson et son compagnon.

-          On dirait la mer et les vagues. Dit l’Inspecteur, en parlant du désert et des dunes.
-          Et nous, nous sommes à bord du bateau, Inspecteur.
-          Ça y est. Le soleil commence à te taper sur la tête, toi.




Le scénario tourne en dérision certains caractères bien de chez nous. Par exemple : la logique à l’algérienne qui attend que la portière de la décapotable s’ouvre alors que le voleur a déjà sauté par-dessus. Ou encore : l’anti-tact de réprimander Khalti Traki et son fils Aloulou alors qu’ils sont chez eux. Mieux : le fait de faire gratuitement du mal à son collègue et compatriote et de se délecter à l’idée qu’il va passer la nuit en prison. Le goût pour la chair de jeunette n’est pas en reste et est dénoncé lors de la scène où le vieillard tremblotant cherche à se marier. Dans un autre film, La Souris (1968), un témoin répond aux questions de l’Inspecteur Tahar par des questions, au point de l’énerver.

-          Vous connaissez cet homme ? Demande l’inspecteur, en montrant une photo.
-          Pourquoi ?
-          Est-ce que vous le connaissez ?
-          Que lui voulez-vous ?
-          On a besoin de lui parler.
-          Pourquoi faire ?
-          Vous allez répondre, oui ?
-          Répondre à quoi ?

La technique est identique à celle qu’un juif apprend à Louis de Funès dans les Aventures de Rabbi Jacob (1973 aussi). Commune aux sémites ? Qu’elle le soit ou non, c’est pratique dans certaines circonstances mais agaçant quand ça devient la norme.

Sept ans après la mort de Hadj Abderrahmane, jour pour jour, de jeunes algériens marchaient dans la rue pour se faire tirer dessus. Des Bouazizi avant l’heure qui ont amené un multipartisme qui est multiplication arithmétique des mêmes tendances démagogiques. On ne peut que le croire lorsque les partis les plus populistes ne présentent plus de candidats et soutiennent, ipso facto, celui du système.

S’il était encore vivant, il aurait été déçu de voir que ceux que ses films font rire, n’ont rien compris et continuent au quotidien d’être eux-mêmes matière à cette dérision. Peut-être aurait-il tourné un film sur les jeunes qui rouspètent ou sur les harraga. Ou alors, baissé les bras pour prendre les rames. Je crois qu’il serait parti en règle et ce n’est pas un hasard s’il s’est éteint à Paris. A l’âge de la sagesse.



Notes :

1. Réalisation de Moussa Haddad, scénario de Hadj Abderrahmane, musique de Ahmed Malek.

2. Partis en Egypte supporter leur équipe nationale, des Algériens se sont fait agresser par des Egyptiens. Après réplique des Algériens, l’incident a pris une ampleur d’affaire d’Etat lorsque des avocats égyptiens ont brûlé le drapeau algérien sur une place publique. C’était en 2009, pendant les qualifications pour la Coupe du Monde de Football 2010.




Le best of de la Semaine Critique




Je suis en train de regarder l’émission la Semaine Critique de Franz-Olivier Giesbert sur France2. Le déroulement de l’émission dans un style best of augure de sa mise au placard. Quelques instants avant, Picouly l’affirmait depuis son Café en précisant que cela était dû à la langue de Nicolas Bedos. Cela me fait un peu réfléchir sur le ton de mes articles, naturellement humoristique et un tantinet cynique. Cependant, la différence entre moi et Nicolas Bedos ne se limite pas à la suprématie du talent (le sien) mais réside dans le fait que, moi, je ne dis pas de méchancetés gratuites. Les critiques que je porte à l’encontre de personnes, parfois nommées mais toujours reconnaissables, viennent de leurs attitudes et jamais de leurs physiques. Puis, nos goûts diffèrent car je trouve qu’Emmanuelle Béart a de belles lèvres.

On passe maintenant des extraits d’interventions des invités qui ont participé à l’émission, tout au long de la saison. Je rebondis sur ce que dit (disait) Jack Lang : « La séparation des pouvoirs n’existe pas en France ». L’admiration que j’ai pour cet exceptionnel ministre de la culture ne m’empêche pas de lui dire que la sacro sainte séparation des pouvoirs est une utopie et que sa recherche permanente est épuisante pour une efficacité relative. En France, en Algérie ou ailleurs, aucun modèle n’est parfait et un pays se porte bien tant que sa Justice est impartiale. Pour les démocraties modernes, je suis pour la fusion pure et simple du législatif et de l’exécutif. Des garde-fous sont évidemment à construire et le parlement en est le premier par son pouvoir d’amender ou de rejeter mais sans légiférer.

FOG vient de fixer rendez-vous à vendredi prochain pour un nouveau numéro de l’émission … Si cela ne devait pas avoir lieu, à quand une émission qui reprendrait le flambeau avec un peu moins de dérision des physiques et de fantasmes érotiques sur les people ?


vendredi 13 mai 2011

La fin de Shengen ?




Le Danemark vient de décider de contrôler ses frontières pour lutter contre certains trafics qui transiteraient par l’Allemagne et la Suède. Quelque temps avant, la France avait demandé à revoir les accords de Shengen après le déferlement d’immigrés clandestins que l’Italie évacuait vers le Nord en leur donnant des laissez-passer. Est-ce le début de la fin des accords de Shengen ? Le problème n’est dans la fin ou la continuité de Shengen. Un accord n’est jamais éternel et n’est plus bon s’il n’est pas adaptable aux besoins du moment. Ces accords avaient été mis en place pour faciliter la circulation entre citoyens de pays sensiblement proches en niveaux de vie. Pas pour des voyageurs venant du Sud et que la richesse de leur pays ne sédentarise pas. N’empêche que la droitisation de l’Europe est bien là. Même les partis de gauche s’y mettent et l’un d’entre eux tente de freiner l’immigration tout en camouflant son timide rapprochement de l’opposition par la caution du Sénat. Il faudrait juste qu’on ne se trompe pas de cible en pensant que les seuls coupables sont ceux que désigne l’extrême droite.

Avant la révolte, je comprenais la détresse qui faisait jeter les jeunes du Sud à la mer. Néanmoins, ne serait-il pas plus logique qu’ils restent maintenant chez eux pour bâtir le modèle social qu’ils réclamaient ? Personne n’affirme que ce sera facile, mais peut-être que certains voudraient que ça s’arrange tout seul. C’est dire que les plus virulents, comme Alain Finkielkraut, peuvent parfois avoir raison.

A Constantine, il serait temps que l’autorité comprenne que cette autre migration qu’est l’exode rural, fait plus de mal que de bien dans ses proportions actuelles même si elle est diurne au centre-ville. Le chômage ne peut pas être prétexte à tout et on n’est pas obligé de gêner la circulation pour pouvoir vendre ses pacotilles non imposables.

Une chose est sûre, il n’y a pas que le Parti du Peuple Danois qui doit fêter ce succès et les rabatteurs d’adhérents potentiels aux partis européens d’extrême droite doivent se frotter les mains et les escarcelles. Le questionnement par l’UE et la gêne qui l’accompagne rajouteront à la liesse des ex diabolisés. Au moins, le récent toilettage aura servi à être présentable pour la fête, à défaut de se raser le crâne et de faire le salut nazi, sous la statue de Jeanne d’Arc.

La droitisation de l’Europe traduit une sensation d’insécurité, en grande partie générée par la crise financière mondiale et renforcée par le triste spectacle néo-hellénique. Heureusement que l’art est de quelque secours. Une œuvre comme la sculpture Léviathan de Anish Kapoor, actuellement exposée au Grand Palais, rassure par ses 15 tonnes de PVC (rouge comme un placenta protecteur) et stimule l’imagination, selon les propos des visiteurs. Les gens ont donc besoin d’être rassurés. Qu’ils se rassurent surtout en comprenant qu’il n’y a pas de monde sans problèmes et qu’il leur est impossible de rester dans leur opulence. Les temps sont durs mais pas insurmontables.

La recherche de sécurité à tout prix est un piège. A force d’évacuer le risque on finit par ne plus savoir quoi faire dans la crise. Le Cybercar qui est en cours de testage à La Rochelle est-il l’aboutissement d’une recherche supplémentaire de cette sécurité ? Il est possible qu’il soit pensé pour remplacer progressivement la voiture et étayer le covoiturage. Il gagnerait aussi à na pas détrôner le bon vieux bus qui serait idéalement conduit par des jeunes de banlieues. Ces derniers sauraient qu’on leur fait confiance et laisseraient la caillasse dans les bacs à fleurs.

Contrôler ou limiter les entrées en Europe est du ressort des Européens mais ils doivent savoir que se s’enfermer sur soi serait une erreur fatale et la programmation de sa propre déchéance. Alors, il s’agit de garder la tête froide et de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier.


Otages depuis 500 jours




Cela fait 500 jours que Hervé Ghesquière, Stéphane Taponier et leurs trois accompagnateurs sont retenus en otages en Afghanistan. Un pays musulman où certains défigurent leurs filles au vitriol ou leur coupent le nez parce qu’elles veulent étudier. Drôle d’interprétation de la citation de Mahomet (qsssl) qui a recommandé de prendre soin des femmes lors de son dernier prêche. Malgré le double tranchant de la surmédiatisation, le rappel inlassable de la détention, à toutes les éditions des JT de France Télévisions, fait tirer chapeau bas à ces confrères plus que solidaires. Ces 2 journalistes + 3 ne sont pas les seuls à être dans cette situation. D’autres sont détenus par Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) ou ont tout simplement été oubliés.

Reporters Sans Frontières en parlait bien. Une ONG qui se faisait un peu rare avant que Robert Ménard ne la rappelle à notre mémoire par sa récente série d’interventions médiatiques. Je le soutiens totalement lorsqu’il se bat pour la liberté d’expression pour tous, y compris pour l’extrême droite partisane. Le problème c’est que, sous prétexte de dire que ces politiciens de l’extrême sont devenus moins antipathiques, il en arrive à adhérer à pas mal de leurs propositions. L’expérimenté journaliste qu’il est n’arrivera pas à faire croire qu’il a été dupé par le relookage et le discours un chouia plus diplomate. Ce n’est pas encore la déchéance totale vers laquelle l’attire Dieudonné ni celle dans laquelle le plonge Edwy Plenel mais la chute est imminente. Il devrait méditer les propos de Valérie Pécresse : « L’emballage a changé mais le produit est toujours aussi toxique ».

L’AQMI fait parler d’elle. Pendant qu’on en parle, elle passe à autre chose : se diversifier pour plus de lucre qu’elle va chercher de plus en plus loin dans le subsaharien. L’acronyme AQMI serait-il la francisation de Hike me ? En tout cas, mollah qui roule amasse mousse. Le domaine vaut le coup qu’on s’y spécialise car tout porte à croire que la fin n’est pas pour demain, surtout après la mort de Ben Laden. Cependant, il y a analyse et analyse et les plus vus ne sont pas forcément les plus convaincants. Je ne peux pas penser qu’un Mohamed Sifaoui puisse avoir une vision claire quand j’écoute l’acharnement qu’il déploie pour saborder toute tentative de dissiper le smog officiel qui flotte encore au dessus des attentas du 11 septembre 2001. Le fait que ces attentats soient une abjection ne diminue en rien la lancinance des questions qui restent en suspens.

Je ne dis pas qu’aucun terroriste islamiste n’y a participé. Je dis que les zones d’ombre qui restent à éclairer sont tellement évidentes qu’on ne peut pas croire que les Américains ne cachent rien. L’une de ces zones d’ombre est dans le fait que Ben Laden n’ait jamais revendiqué ces attentats alors qu’il en avait revendiqué d’autres. Pourquoi ce serait-il privé d’ajouter ces « succès » de taille à son palmarès ?

Je ne suis pas superstitieux et ce vendredi 13 ne m’empêchera pas d’espérer que les otages seront bientôt libérés et que la leçon servira. Personne n’a le droit d’empêcher un journaliste d’informer et si l’information est aussi précieuse lorsqu’elle est recherchée en milieu hostile c’est que ceux qui la pistent devraient être mieux protégés.

Se pose la question de savoir quel avenir pour les reporters quand on sait que, durant la dernière élection présidentielle en Iran et le printemps arabe, des internautes ont été assez bons dans le genre. On dira qu’un reporter est plus qu’un fonctionnaire qui rapporte des informations. Oui, mais l’analyse de l’information peut toujours se faire à distance. Deux problèmes resteront quand même à résoudre : la véracité de l’information qui est transmise depuis le terrain et le déficit en émotion qui se lira entre les lignes de ladite analyse journalistique et qui sera dû à la froideur de l’éloignement.

Se pose aussi la question de savoir quand l’Algérie et le Maroc se réconcilieront pour pouvoir mieux collaborer dans la lutte contre le terrorisme international. Les achoppements ne sont pas seulement sur la question du Sahara Occidental et sur l’appellation Union du Maghreb Arabe qui ne fait pas de place à l’amazighité. Ce ne sont pas les obstacles les plus importants.

Je regarde l’Union Européenne. Vingt-sept pays et une trentaine de langues officielles n’ont pas été des handicaps pour une union qui est plutôt considérée comme un succès politique. Je me retourne vers le Maghreb et je vois que des éléments communs comme l’Histoire, la langue officielle et la religion majoritaire, n’ont pas réussi à nous unir. Là, je me dis que le problème se situe ailleurs.

Le septentrional exemple d’union qui s’offre aux gouvernants maghrébins est doublement dissuasif. Au Nord, les gouvernants sont là pour une durée limitée à deux ou trois mandats, constitutionnellement ou traditionnellement. Puis, tout pays de l’UE fait des concessions à cette dernière, quitte à fournir un premier ou un deuxième bouc émissaire aux souverainistes. Ce n’est pas ce que veulent les homologues au Sud. Là où le moelleux du siège donne vite le tournis et devient addiction au qat régalien.

Pourtant, même au Nord, n’importe quel politicien serait tenté de durer. Dire le contraire serait non seulement un mensonge mais une aberration. Sinon, comment expliquer qu’un politicien ait un programme mais ne veuille pas être au pouvoir pour l’appliquer ? Ce qui fait la différence et détermine le type de démocratie, c’est la vigilance du peuple. Ici, il est difficile de parler de vigilance pour un peuple qui tue la poule pondeuse et s’étonne de ne plus avoir d’œufs.

Au vu de tout cela, l’UMA ne marchera jamais dans sa conception actuelle. Il n’y aura pas, non plus, d’unification des instances représentatives, du genre Président du Maghreb ou Ministre maghrébin des affaires étrangères. Il est possible qu’on assiste à des missions conjoncturelles qui affirmeront une position commune face à un problème donné et aux intérêts similaires mais ça retombera aussitôt après. Pour autant, il ne faut pas enterrer l’UMA. Il faut juste l’habiller de réalisme et la concentrer sur l’ensemble des accords et traités qui faciliteront les échanges et la coopération à tous niveaux.

Place à la culture. Elle qui fait peur. Ceux qui en ont peur ont raison d’avoir peur mais se trompent d’attitude. Mal intentionnée, elle peut faire des ravages. Bien intentionnée, elle ne peut faire que du bien même lorsqu’elle contredit celui qui la sollicite. Dans le cadre des échanges entres les pays de l’UMA, les semaines culturelles s’apparentent beaucoup à des séjours de relaxation pour ceux qui se sont épuisés à applaudir sans jamais contredire.

Je doute que ce discours trouve écho. Chaque gouvernement maghrébin continuera à mettre en pratique sa seule vision en faisant fi des critiques, et les désordres printaniers sont un alibi supplémentaire pour l’atermoiement. Seulement, qu’on arrête après cela de dire que ceux qui ne se sont pas révoltés trouvent plus verte la pelouse des voisins du Nord et qu’on arrête de les mettre en prison dès qu’ils tentent de la fouler.




jeudi 12 mai 2011

Laissez-les donc partir




La révélation par Mediapart a soulevé un petit tollé, si caractéristique des démocraties qui se portent bien. A la moindre rumeur, on tire. L’approche des élections présidentielles n’est pas étrangère à ce haro sur Laurent Blanc et il a fallu que s’implique l’emblématique Zinédine Zidane pour confirmer que Laurent est Blanc comme neige.

Et dire que ce doué du soulier a failli jouer au sein de l’équipe nationale algérienne de foot. Eh oui ! Notre sélectionneur national de l’époque, Abdelhamid Kermali, l’avait trouvé banal et pas assez rapide. Je me demande ce qui ce serait passé si Zizou avait remporté la coupe du monde avec l’Algérie parce que Aimé Jacquet l’avait refusé. En Algérie, il ne s’est pas passé grand-chose. Quelques journalistes lui ont tiré dessus à ballons brûlants mais il est resté en place. Il paraît qu’il n’y avait aucun autre sélectionneur algérien pour le remplacer. Si, mais ils étaient partis s’installer à l’étranger.

Cette affaire de quotas serait-elle une autre bourde, après celles de Jean-Marie Le Pen et de Georges Frêche ? Au vu de ce qui a été révélé jusqu’à aujourd’hui, je ne vois pas où est le racisme et si tel s’avérait être le cas, la fédération s’en chargerait. Par contre, je sais que lorsqu’on s’inquiète de savoir à qui profiteront ceux qu’on forme, c’est preuve de réflexion. Et quand on s’en inquiète avant de commencer à les former, c’est preuve de bon sens. Rien à voir avec notre « On verra ! » de ceux qui préfèrent s’échauffer les paumes que les neurones.

En Algérie, les compétences s’acquièrent et se délocalisent sous l’œil bienveillant des gouvernants. C’est presque à regretter une époque où tout était planifié. Ni le triennal ni le quinquennal n’avaient donné les résultats escomptés mais, au moins, il y avait intention d’exploiter après avoir formé. Autrement dit, il y avait de la place pour le rêve. Le rêve existe toujours mais celui de bâtir a cédé la place à celui de partir. Nombre de nos sportifs performants a arrêté de rêver et s’est installé à l’étranger. Et pas que les sportifs. En 2008 on a avancé le chiffre de 100 000 cadres algériens qui profiteraient aux économies non algériennes1. Le nombre a explosé, depuis.

Le gouvernement algérien fuit en avant. Parce qu’il a peur de la remettre en cause, la démocratisation de l’enseignement supérieur le pousse à une course sans fin vers la fourniture de sièges pédagogiques et la construction de nouveaux centres universitaires. Toujours plus. Les filières proposées sont un listing des spécialités demandées par les entreprises hors territoire, sans relation avec les besoins de l’économie locale. L’université est devenue une gigantesque machine à produire des chômeurs, mal formés de surcroît. Et je ne parle pas des post gradués dont les thèses ressemblent à des exposés de premier cycle.

Au lieu de s’entêter à former des ingénieurs qui ne serviront à rien, il faut former les techniciens d’application et les artisans dont nous avons besoin. Aujourd’hui, pour chaque poste proposé, les ingénieurs et équivalents postulent par treize à la douzaine. A contrario, il suffit que votre siphon éclate et vous prendrez conscience de la rareté des bons plombiers. Des tas de médecins sont au chômage quand il est difficile de trouver un kiné. Les ingénieurs électroniciens abondent quand manquent les réparateurs de télécommandes. Les ingénieurs mécaniciens chôment alors qu’il est très difficile de trouver un bon meccano, capable de retaper une voiture sans oublier des pièces en remontant le moteur.

Il n’est pas nécessaire de former autant et aussi loin. L’Algérie est l’un des rares pays au monde qui forme autant d’ingénieurs, relativement à sa démographie. C’est aussi le seul pays au monde qui recrute comme enseignants pour enfants ceux qui ont échoué dans leurs études. Autant planter les graines blettes et espérer faire bonne cueillette.

De toutes les réformes que pourrait lancer un gouvernant, l’éducation est sans nul doute la plus difficile. Elle est la plus difficile parce qu’en plus de devoir engager des moyens colossaux, il faudrait rattraper la faiblesse du niveau de ceux qui ont passé le cap de l’école. Sans compter ceux qui l’ont quittée sans aucune formation et qui sont candidats au hitisme. Essayer d’engager cette réforme équivaut à déclencher un tsunami contestataire. De la part d’enseignants dont une partie devrait elle-même redevenir écolière et dont une autre partie devrait choisir entre enseigner ou donner des cours particuliers obligatoires à toute la classe, les bons élèves compris. A l’appréhension, s’ajoute le fait de se savoir en déficit de légitimité et la peur d’être déclencheur de contagion par les révoltes limitrophes. La pérennité ira probablement au système au détriment de la pérennité de l’Etat. Pour le secours et dans l’immédiat, je serais plutôt pour le rappel de nos bons vieux instituteurs.

Difficile d’imaginer la taille du chantier. Néanmoins, mieux vaut tard que jamais et ce n’est pas parce qu’une génération a été pédagogiquement immolée que les suivantes doivent l’être. Le problème pourrait commencer à être traité s’il était d’abord reconnu et la fuite en avant est le syndrome de ceux qui n’ont pas de palliatif à proposer.

Concernant les cadres déjà bien formés, je suis d’accord avec le gouvernement algérien au moins sur un point : Si on ne sait pas quoi faire d’eux, laissons-les partir. Certains leurs demandent de faire du lobbying2, passe pour ça. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui leur demandent de rentrer. Je sais que, même en étant ici, ils ne seraient pas totalement coupés du monde. Cependant, leur retour les rendrait subalternes à ceux qui se cachaient au fond des classes quand eux brillaient. Ils mourraient de morosité chronique ou seraient contaminés par l’endémique obsolescence cérébrale.




Notes ;

1. Le professeur Mustapha Khiati, président du FOREM, avait avancé le chiffre de 100 000 cadres algériens installés à l’étranger. Propos rapportés par la Quotidien d’Algérie, édition du 14.12.2008. D’après Mourad Medelci, la plupart ne prend même pas la peine de s’inscrire sur les registres des ambassades et consulats. Seuls 15 200 le feraient. Cf. http://hogra.centerblog.net/6582075-cadres-algeriens-installes-a-l-etranger

2. Cf. Appel de Ahmed Ouyahia, rapporté par le Quotidien d’Algérie dans son édition du 25.12.2008.



mardi 10 mai 2011

Bienvenue chez les Consti




Les éditions on-line du 8 mai courant ont rapporté que Hollywood vient de remettre en scène Le Voyage vers la Lune (1902) de Georges Méliès (1861-1938), notamment en le colorisant. Pour son roman, Méliès s’était inspiré de De la Terre à la Lune de Jules Verne (1828-1905). Un des auteurs préférés de mon enfance. Je l’ai découvert à la télé avec l’Ile Mystérieuse et Vingt Mille Lieues sous les mers et j’ai vite fait de dévorer la plupart de ses livres.


Méliès s’était également inspiré de La Machine à explorer le temps (The Time Machine, 1895) de Herbert Georges Wells (1866-1946) où le héros invente une machine à remonter le temps et part, entre autres, en l’an 802701. Là, je suis obligé d’ouvrir une parenthèse. J’y dis que je doute qu’on atteigne cette année après Jésus (qsssl). Non pas parce que je prédis une quelconque date pour l’apocalypse, après Nostradamus. Seulement, à ce rythme de réchauffement de la planète et des indices boursiers, la Terre ne tiendra pas longtemps.

Je referme la parenthèse. Le héros de Wells se retrouve chez de petites créatures oisives, les Eloïs. Le pays imaginaire est dominé par des prolétaires devenus patrons et qui vivent sous terre, les Morlocks. Les Morlocks nourrissent les Eloïs et se nourrissent de leur chair. Le héros lutte contre ces prolétaires devenus patrons et n’arrive à les vaincre qu’avec la lumière, eux qui vivent dans les ténèbres. Il finit par retrouver sa machine et repart vers un futur plus éloigné.

Le voyage chez les Consti n’est pas pour parodier Bienvenue chez les Ch’tis mais pour parodier la Machine à explorer le temps de Wells. Je m’y lance tout de suite.




Bienvenue chez les Consti

J’avais gagné un voyage chez une agence qui organisait des voyages dans le temps. Il ne fallait pas que je passe à côté, cela faisait fureur et valait plus de mille Albins. Une petite fortune pour moi. En me rendant à l’agence, je vis de grosses machines monter des pans de muraille moderne. A la couleur des panneaux, je devinai que c’était fait de matériaux de récupération. J’eus l’impression qu’on craignait une invasion. Le bus me débarqua sur le trottoir opposé à l’agence. Des manifestants y brandissaient chacun un drapeau que je n’avais jamais vu et l’un deux criait dans un porte-voix : « Vive Consta ! » et les autres répétaient sans se lasser. Je réussis à me faire entendre de l’un deux.

-       Pourquoi manifestez vous ?
-       C’est notre façon à nous d’affirmer notre identité. Nous sommes Consti et fiers de l’être.
-       Mais vous dérangez les voisins, comme ça. Il y a d’autres façons d’affirmer son identité.
-       Les voisins, on s’en fiche. Ils ont essayé de nous obliger à baisser le son mais on les a traités de racistes et de Constiphobes. Ca marche à tous les coups.

Il me délaissa et reprit en chœur avec ses camarades. A l’intérieur de l’agence, un agent au teint basané vint vers moi. Sur son T-shirt, on pouvait lire que c’était un GF (Grand Frère). Il me proposa tout de suite de voyager dans le futur vers Consta. Je sortis ma carte d’identité mais il me fit signe de la main que ce n’était pas la peine.

-       Je sais déjà qui vous êtes Monsieur. Félicitations, c’est vous qui avez gagné le voyage. Croyez-moi, vous n’allez pas le regretter.

Je n’arrive pas à m’habituer à ces nouvelles cartes biométriques grâce auxquelles on connaît votre identité dès que vous passez devant une boutique. Il arrive même qu’un vendeur se précipite dehors à votre passage pour essayer de vous vendre quelque chose. Parce que son ordinateur lui a indiqué vos goûts et vos centres d’intérêt. Le GF me dit d’emblée que c’était bel et bien sur la planète Terre mais que c’était assez spécial. Je ne savais pas ce qu’il entendait par « spécial » mais j’allais bien voir. Et puis, je n’avais pas l’embarras du choix, c’était la seule destination proposée au montant auquel j’avais droit. Le reste était hors de prix. Le GF me fit asseoir dans une cabine au look pas assez futuriste par rapport à ce que j’imaginais. On aurait dit une sanisette au tableau de bord hyper sobre. Deux afficheurs y figuraient, dont le premier indiquait 2011. Le GF me demanda.

-       Je mets sur quelle date ?
-       Ca peut aller jusqu’à quand dans le futur ?
-       Personne ne le sait. Tout ce qu’on sait c’est qu’en cas d’impossibilité, vous reviendrez ici. Dans le présent, bien sûr.

Je restai un peu dubitatif.

-       Au fait, vous pourrez observer mais rien changer. Seuls les contemporains le peuvent.
-       Mettez sur 2111. Un siècle, cela devrait suffire pour me dépayser.

Il esquissa un sourire narquois dont je ne compris pas tout de suite la signification et régla sur 2111.

-       Vous allez voir, on voyage comme dans un rêve. Peu d’images sont en noir et blanc et les équipes de Bollywood ont fait un excellent travail de colorisation. On a avancé à pas de géant depuis le premier modèle commercialisé en 1895.
-       Comment est-ce que je ferai, une fois là-bas ?
-       Pourquoi, on ne vous a rien expliqué ?
-       Mais enfin, Monsieur, qui aurait pu m’expliquer ? Je viens ici pour la première fois de ma vie.
-       Je ne sais pas.
-       Si vous ne savez pas, qui pourrait savoir ?
-       Bon, OK. Un guide qui s’appelle Boufanion viendra vous attendre au nefodrome. Il portera un badge avec le logo de notre agence. Allez, bon voyage !

Ce GF me rappelait drôlement la logique des habitants de mon pays d’origine. Avant de refermer la porte de la cabine, il actionna un bouton et l’hologramme d’une fille en uniforme d’hôtesse de l’air apparut. Elle dit d’une voix mielleuse.

-       Soyez le bienvenu à bord. Notre Compagnie vous remercie de l’avoir choisie.

Je ne voyais pas comment est-ce que j’aurais pu choisir une autre compagnie. C’était la seule qui proposait des voyages vers le futur pour le grand public. Ca me rappela une certaine compagnie aérienne qui remerciait ses passagers de l’avoir choisie alors qu’elle n’avait pas de concurrent.

L’hôtesse fit un geste du bras et un hologramme de texte s’afficha devant moi comme un prompteur. Les lettres grossirent puis rapetissèrent pour s’adapter automatiquement à ma presbytie. Je me mis à lire pendant que la cabine s’obscurcissait progressivement en signe de départ imminent. Une sorte de fiche de synthèse se mit à se dérouler.

Nom officiel : Consta.
Capitale : Consta.
Gentilé : Consti (invariable).
Langue officielle : Frabe (latino-sémitique).
Monnaie : Riand. 1 Riand = 0,0071 Albins.
Religion : Monothéisme dichotome.
Système social : Hybride.
Devise nationale : « Dieu est contraignant ».
Fuseau horaire : Hors fuseaux.
Durée du trajet : 8 minutes.

Lorsque mes yeux furent sur le fuseau horaire, l’hôtesse dit de la même voix.

-       Ne vous en faites pas Monsieur. Là où vous allez, le temps n’a aucune importance. La Compagnie vous remercie de votre confiance et vous souhaite un agréable voyage.

Huit minutes d’images plus tard, la porte de la cabine s’ouvrit et un jeune homme portant un T-shirt au logo de l’agence se dressa devant.

-       Bienvenue chez les Consti ! Je suis Boufanion.
-       Merci.
-       Venez, ma voiture est dehors.

Consta n’était pas du tout une ville imaginaire. Sur la route qui menait au centre-ville où se trouvait l’hôtel, de vrais immeubles se dressaient, des voitures et des bus roulaient. Ca ne semblait pas si mal. Un bruit bizarre se fit soudain entendre sous le capot et je compris que j’avais parlé trop vite. Mon guide se gara sur bas-côté et alla jeter un œil. Il revint, l’air pas très rassurant.

-       C’est une panne. On va appeler un garagiste.

Celui-ci vint au bout d’une demi-heure. Il nous tracta quelques kilomètres plus loin et, sur le trottoir qui lui servait d’atelier, il prit une massette et commença à taper de toutes ses forces.

-       Vous êtes sûr que le monsieur s’y connaît ? Il n’y va pas avec des gants, là.

Le mécanicien m’entendit, sortit la tête de dessous le capot et me dit.

-       Il ne faut pas croire ce que disent les constructeurs. Les clés spéciales et je ne sais quoi d’autre. Croyez- moi, le seul outil efficace, c’est le marteau et c’est l’outil des hommes. Le reste c’est pour les mauviettes. Moi, je suis spécialiste et je soigne toujours mon travail. En plus, je connais toutes les « empanne » sur le bout des doigts. Dis-lui, toi qui me connaîs bien.
-       C’est le meilleur. Assura le guide.

La réparation tarda à se faire et Boufanion vit que je m’impatientais. Il résolut d’arrêter un taxi. La plupart refusa de m’emmener sous prétexte qu’il y avait trop de circulation au centre-ville. Boufanion m’expliqua que les taxieurs avaient du tact. Ils refusent d’embarquer un client qui veut aller vers une destination à la route encombrée pour ne pas qu’il s’ennuie en chemin. Ils poussent donc à prendre le Cophéric (contraction de Consta Téléphérique) qui tombe souvent en panne mais qui est plus rapide.

Un taxieur finit quand même par accepter la course. J’attendis que le chauffeur ouvre son coffre pour y mettre ma valise mais il ne bougea pas. Boufanion l’y mit. Il allait rester jusqu’à la fin de la réparation et me rejoindrait après. J’allais ouvrir la portière arrière quand le taxieur m’ouvrit la portière avant. Dès que je fus assis, il m’expliqua, dans un Albin malmené mais déchiffrable, que c’était hautain de monter à l’arrière et que le client devait le respecter. Il alluma aussitôt son lecteur de musique et une voix assourdissante commença à réciter ce qui semblait être des versets d’un texte sacré.

-       Qu’est-ce que c’est ? Demandai-je.
-       C’est notre livre sacré. C’est très bon pour la purification énergétique de l’ambiance.
-       C’est le Feng Shui local, en quelque sorte ?
-       C’est mieux que ça. On l’entend partout, dans les taxis, dans les marchés, dans les boutiques. Certains Consti diffusent ces récitations dans leurs boutiques afin de détourner l’attention du client et de pouvoir l’arnaquer. Que Dieu leur pardonne. D’autres Consti évitent cela, ils diffusent de ces textes sacrés sonores au tout début de la journée puis arrêtent pour se consacrer à bien servir leurs clients. Nous autres taxieurs, nous n’arnaquons pas les clients.
-       J’en suis sûr, Monsieur. Le texte sacré, ce n’est pas mis à tue-tête pour qu’on ne remarque pas le compteur, n’est-ce pas ?
-       Non, bien sûr. Ici, celui qui n’écoute pas les textes sacrés très fort est un mécréant. Et puis, il n’y a pas de risque que le client ne regarde pas le compteur parce que celui-ci ne fonctionne pas.
-       Et pourquoi donc ?
-       Comme ça. Dieu est contraignant.

Sur le chemin, des passants traversaient sans se soucier de quoi que ce soit. Plus étonnant, ils ne regardaient jamais vers le côté d’où arrivent les voitures. Je trouvai cela bizarre.

-       Ici le piéton est roi à cause de l’écologie et tous ces trucs. La valeur locale la plus sûre c’est l’homme, paraît-il. Remarquez que les piétons tiennent le haut du pavé et marchent au milieu de la chaussée. D’ailleurs, chaussée vient de chaussure, ha ha ha ! Vous voyez aussi que celle-ci est bien plus haute que les trottoirs. Les voitures, elles, trottent sur les trottoirs bas et accidentés. On les a bien bitumés une fois mais ils se sont encore détériorés. Une fois, un responsable local nous a reçus et nous a dit « Entre les trottoirs et les voitures, je préfère que les accidentés soient les premiers ». Personnellement, je trouve ça très logique, non ?
-       Si, très …
-       Bien sûr, les automobilistes se révoltent en maçonnant les trottoirs en fortes pentes pour moins user les pneus. Surtout nous, les taxieurs. A leur tour, les piétons répliquent en déversant du sable ou du gravier sur les trottoirs pour le laisser là pour toujours. Notre syndicat a essayé de les obliger à enlever le sable des trottoirs mais ils ont gagné. Pour l’instant, bien sûr. Nous ne baisserons pas les bras. Surtout que notre métier est risqué et que c’est l’un des plus difficiles.
-       Pas les autres ?
-       Ce n’est pas kif kif. Dites, Monsieur, je vais juste faire un petit détour pour régler un problème perso. Ca ne vous dérange pas ?

Je venais de comprendre pourquoi ce taxieur là avait accepté de m’emmener. Régler ses problèmes personnels en se faisant payer, c’était plutôt adroit. C’était vrai que les taxieurs Consti avaient du tact. Nous arrivâmes vers midi à l’hôtel. Un ouvrier était perché sur une échelle pour coller un autocollant en forme d’étoile. Boufanion était là à m’attendre. Il m’ouvrit la portière et anticipa ma question. Il me dit que les étoiles étaient en vente libre chez les buralistes. Après de maladroites explications, je compris que c’étaient les guides qui faisaient pression pour que ce soit comme ça. Les touristes étaient obligés de faire appel à leurs services pour dénicher un hôtel potable sans se faire berner par le standing affiché. La chambre était un peu vieillotte mais la télé compensait. Les chaînes se répétaient pour aider les clients atteints de zappomania à guérir. Le must était dans la douche. Les Consti avaient inventé un moyen d’économiser de l’eau avec la douche à air comprimé. C’était encore un peu bruyant mais il y a un début à tout et la démarche assurément écologiste méritait qu’on taise ce bémol. Et puis, pour les endurcis, il y avait bien de l’eau quelques heures par jour. Je voulus déjeuner dans ma chambre mais le room service me répondit au téléphone que je ferais mieux de descendre et que cela me ferait du bien de bouger. Dans le restaurant, on nous fit volontairement attendre une éternité pour mieux aiguiser notre appétit et nous pousser à consommer. Le déjeuner me permit de faire connaissance avec mon guide. Il était diplômé en écologie. Il me raconta comment c’était difficile de trouver du travail dans son domaine, dans un pays ou tout était biodégradable ou presque. C’est pour ça que les citoyens jettent leurs ordures où ils veulent. Les éboueurs en étaient consternés. Ils avaient l’impression qu’ils étaient inutiles et que leurs emplois étaient menacés.

-       Qu’est-ce que vous voulez visiter ?
-       On m’a dit qu’il y a une vieille cité médiévale. On pourrait peut-être commencer par là ?
-       D’accord. Allons-y.

Nous partîmes à pied. Sur le chemin, je vis que les enseignes faisaient l’effort touristique d’être écrites aussi en Albin mais toujours avec des fautes d’orthographe. Soudain, j’aperçus l’enseigne de Cartier et la marque était correctement orthographiée. Une fois entré, je fus déçu de constater qu’on y vendait des fripes repassées. Nous repartîmes vers la cité médiévale.

Sur le chemin, je vis des jeunes adossés aux murs et d’autres assis sur les seuils des immeubles, un café à la main. Le guide m’expliqua qu’à Consti, même ceux qui ne travaillaient pas se rendaient utiles (ndla : Contrairement aux Eloïs de Wells) en soutenant les murs de la cité avec leurs dos ou en empêchant les cambrioleurs de commettre des méfaits pendants le jour. Leur technique est simple et dissuasive, ils s’asseyent sur les seuils des entrées des immeubles. Cela gène un peu les habitants mais ces derniers sont conscients de leur utilité et leur en savent gré. Ces jeunes gardiens ont proposé d’étendre leur bénévolat à la nuit mais les habitants ont refusé de les tuer au travail. Ils ont donc résolu de clôturer leurs maisons avec des barbelés. Noble geste.

A l’emplacement où se trouvait la principale porte de la cité médiévale, des vendeurs à la criée proposaient le change de monnaies. Mon guide me dit que le Riand, n’avait pas grande valeur. Les grands commerçants échangeaient les billets carrément au poids.

-       Ce n’est pas dévalorisant pour le Riand ? Et ces agents de change, ils ne payent pas d’impôts ?
-       Aucune importance. On a le platine noir. Ca devient de plus en plus rare sur les marchés internationaux, donc de plus en plus cher.
-       Mais je suppose que vos gisements ne sont pas inépuisables. Que ferez-vous après ?
-       Bof ! Si ça s’épuise, ça s’épuise. Dieu est contraignant.

La cité médiévale révélait quand même un passé relativement florissant. Les rues étaient encombrées de marchandises made in Beijiland. Je me demandai où était l’artisanat dans tout ça.

Je réussis, tant bien que mal, à dégoter quelques objets. Des plateaux de cuivre et des verreries, essentiellement. La journée avait été épuisante et je n’avais qu’une idée en tête. Revenir à mon hôtel. La nuit y fut paradoxalement reposante. Je m’étais assoupi sur les voix d’un groupe de personnes qui débattaient contradictoirement (l’émission était sous-titrée) pour tomber d’accord sur le fait que Consta était le meilleur pays au monde et que ce n’était nulle part aussi bien. Comme quoi, tout est relatif. Je pensai aux habitants de la rive nord du désert bleu et je les traitai de tous les noms. Ils ne savaient pas la chance qu’ils avaient et ils devraient faire un saut ici pour arrêter un peu de râler. Sur ce, je m’endormis.

Au matin du deuxième jour, nous partîmes vers une cyber boutique. Il fallait que je consulte mes mails et il n’y avait pas de connexion à l’hôtel. La seule boutique qui avait un signal de réception suffisamment fort était fermée. Le guide m’expliqua qu’une superstition dit qu’on doit constamment changer les horaires d’ouverture de sa boutique. La régularité est perçue comme présage de morosité commerciale. Les plus dynamiques n’ouvraient qu’en fin de matinée, voire pas du tout certains jours.

Boufanion avait des formalités administratives à régler. Il demanda à me laisser mais je proposai de l’accompagner. Un client de mon hôtel m’avait parlé de l’administration de Consta. Le secteur quaternaire, comme ils l’appelaient. Il m’avait expliqué que le tertiaire avait évolué pour donner une génération de fonctionnaires qui peaufinent leur travail en prenant leur temps. Les travailleurs les plus épuisés peuvent prendre cinq années sabbatiques grassement payées, à condition d’avoir l’aval de la population. Il n’y a pas assez de places pour ces longs congés et chaque postulant devaitt convaincre les Consti que c’était lui qui le méritait le plus. Boufanion passa voir un homme à qui il manqua embrasser la main. C’était un intermédiaire. Puis nous partîmes en voir un autre qui décrocha son téléphone pour appeler quelqu’un. Boufanion remercia longuement le monsieur puis revint vers la voiture.

-       Ca y est. Normalement c’est bon. Maintenant, on va à l’administration.

Je m’attendais à ce que Boufanion aille vers le bureau d’un responsable mais il se dirigea vers un guichet.

-       Bonjour. C’est notre ami commun qui m’envoie.
-       Ah c’est vous Boufanion ? C’est pour quoi au juste ?
-       Je voudrais une attestation qui atteste que je n’ai pas retiré d’attestation auparavant.
-       Ah ! Et pourquoi faire ?
-       Pour qu’on ne pense pas que j’ai retiré une attestation auparavant.
-       Je suis débordé. Normalement, le délai est d’un mois mais pour vous, ce sera deux semaines.
-       S’il vous plait, Monsieur, j’en ai vraiment besoin.
-       Je ne peux rien y faire. Depuis la décennie noire, on n’a pas encore réussi à reclasser les archives. Il faut beaucoup de temps pour trouver ce que vous demandez. Et puis, nous sommes en fin de semaine. Vous auriez pu venir en milieu de semaine, quand même.

Boufanion sortit un billet de banque de sa poche et le plia en quatre avant de le donner prestement au guichetier.

-       Tenez ! J’ai oublié de vous donner une pièce du dossier.
-       Bon, je vais voir ce que je peux faire. Revenez demain.
-       Oh, merci infiniment. Que Dieu vous bénisse.
-       Vous au moins, vous êtes poli et vous avez compris qu’on fait le maximum pour le citoyen. D’autres se ramènent ici et exigent leur attestation. Comme si on était à leur service. Et puis, quoi encore ?

Une fois dehors, je demandai.

-       C’est quoi cette décennie noire ?
-       C’est une décennie durant laquelle les terroristes ont tout saccagé. On n’arrive pas encore à s’en relever totalement.
-       Et ça c’est passé quand, cette histoire ?
-       En 1991.


De retour au même endroit, la boutique était ouverte et je pus consulter mes mails pendant que des enfants jouaient à se tirer dessus sur ordinateur. Il y avait aussi quelques adultes qui avaient tous un casque sur les oreilles et la souris à la main. Les claviers étaient rarement sollicités.

L’agence de Boufanion se trouvait au neuvième étage et il n’y avait pas d’ascenseur. Je sus que c’était le système de santé local qui le voulait. Il parait que cela donnait des résultats : les maladies cardiovasculaires étaient quasiment inexistantes car on s’entraînait dès le plus jeune âge à monter les escaliers des tours sans ascenseur. Quant à ceux qui en avaient été dotés avant la loi, les comités d’immeubles les mettaient volontairement en panne pour le bien de tous.

Les deux bureaux n’étaient pas très meublés. Juste le strict nécessaire. La secrétaire portait un foulard qui lui couvrait les cheveux et un pantalon hyper serré sur les fesses. Lorsque nous ressortîmes, je lui dis mon étonnement et Boufanion m’expliqua que les Consti considèrent que c’est la tête qui est la partie la plus érotique du corps parce que c’est là que tout se passe. Les filles qui se dénudent la tête sont vues comme des filles faciles même si leurs habits ne sont pas serrés. De fil en aiguille, il en arriva à me dire que les Consti étaient polyandres mais que cela était officieux. Les hommes se tiennent sur les passages les plus fréquentés de la cité et guettent les femmes mariées et le fait qu’elles soient accompagnées de leurs maris, ou même enceintes, ne dissuade pas. La cour se fait avec le regard qui déshabille et grâce à un protocole oral où le courtisan précise à haute voix les parties qui le démangent le plus pour décrire ses sentiments. On les appelle les X-Men parce que leurs regards sont comme des rayons X qui traversent les étoffes pour voir ce qu’il y a dessous.

-       Ils sont tous comme ça, les Consti ?
-       Non, seulement ceux qui viennent des périphéries.
-       Et les maris, ils ne se fâchent pas ?
-       Si mais que voudriez-vous y faire ? Dieu est contraignant. Et puis, ils n’ont qu’à couvrir la tête à leurs femmes. Venez, on va aller boire un zandjabil puis on ira déjeuner.
-       C’est quoi le zandjabil ?
-       C’est la boisson nationale. Une boisson qui stimule la libido.
-       Pa la libido polyandrique, j’espère.
-       C’est kif kif.
-       Je crois que je prendrai plutôt un café.
-       Comme vous voudrez.

Au café, on s’assit à une table où nos prédécesseurs avaient visiblement livré bataille. C’était jonché de verres, de bouteilles, de miettes, de tâches de café et de grains de sucre. Un garçon vit nettoyer avec un minuscule morceau de serpillière et nous dûmes faire de la gymnastique avec les genoux pour éviter de tout recevoir sur le giron.

-       Que Dieu te bénisse. Dit Boufanion au garçon.

Au restaurant, l’hygiène n’était pas le point fort de la maison. Le guide m’expliqua que c’était voulu par le ministère de la prévention sanitaire. Depuis qu’un jeune homme était mort après avoir mangé dans un fast-food à l’étranger, on a réalisé qu’il fallait aider le corps à fabriquer des anticorps. Pour cela, un décret local interdit de nettoyer à fond les tables des restaurants, par exemple, et tout excès dans l’hygiène peut entraîner des sanctions. On mangea des frites à l’huile noire et un poulet qui avait le goût de la biodégradabilité. Le garçon aurait aimé laver sa blouse blanche mais que pouvait-il y faire, le malheureux ? Dura Lex Ced Lex.

L’après-midi, nous partîmes acheter des vêtements traditionnels pour faire des cadeaux à mon retour. Un homme en barbe nous reçut parmi un monde fou puis nous orienta immédiatement sur une vendeuse qu’il appela. Elle arriva de l’arrière boutique, couverte de noir, de la tête aux pieds. On ne voyait même pas ses yeux. Elle portait également des gants noirs et avait au cou une sorte de clavier.

-       Bonjour Mademoiselle. Quels sont les modèles de caftans que vous avez ?

La vendeuse se saisit de son clavier et appuya sur une touche. Une voix synthétique en jaillit.

-       Bon - jour. So – yez – les – bien – ve – nus.

J’eus l’impression qu’on s’y était pris au moins à trois pour enregistrer ça, tellement c’était dissonant. Je me retournai lentement vers mon guide, le regard interrogateur. Ce fut le tenancier de la boutique qui me répondit.

-       Hum ! La voix de la femme ne doit pas être entendue par un étranger. C’est notre religion qui veut ça.
-       J’ai entendu parler de ça, Monsieur. Mais, je croyais que ceux qui disent ça, disent aussi qu’il est interdit d’imiter la voix humaine. C’est comme prétendre créer à la place du créateur, non ?
-       Oui mais nécessité fait loi et il y a toujours des exceptions, Monsieur. Excusez-moi !

Visiblement gêné, le tenancier s’éclipsa. Boufanion me glissa à l’oreille.

-       Surtout quand l’exception est lucrative.

Après quelques dizaines d’appuis sur les touches du clavier et une infinité de syllabes désarticulées, je finis par acheter ce que je voulais et nous sortîmes. Dehors, les gens avaient l’air d’être dans les vapeurs. Le regard hagard, l’esprit errant. Un air d’isolement flottait sur la cité et on avait du mal à croire que celle-ci était jumelée à notre cité de Dauphigre. D’ailleurs, seuls quelques Consti le savaient et encore moins en profitaient.

-       Consta est la ville des ponts. Vous voulez voir ?
-       Et comment, que je veux.



Les ponts étaient sublimes mais l’un deux s’écartait dangereusement de la berge de la rivière asséchée. Un autre, en pierre, avait carrément plusieurs travées écroulées.

-       Pourquoi est-ce que vous ne les réparez pas ?
-       Depuis longtemps, plus personne ne sait comment faire pour joindre les deux rives. Les anciens savaient, eux, mais ils n’ont pas transmis leur savoir.
-       Vous auriez pu leur demander, les obliger même.
-       Nous avons oublié de le faire et maintenant c’est trop tard. Venez, je vais vous présenter un ami intellectuel. Il organise une vente dédicace.

L’ami était libraire. La librairie s’appelait Book+ et était située derrière un petit théâtre. Les présentations furent rapides et le libraire me montra le fichier électronique des e-books qu’il avait en stock. J’en choisis quelques uns et j’en payai le transfert vers mon laptop en wi-fi. Nous attendîmes que le public arrive. L’écrivain arriva, pas le public. La vente dédicace se transforma donc en discussion à bâtons rompus.

Les trois m’expliquèrent que le savoir était inutile pour faire carrière mais qu’il était imposé par la Ligue Mondiale pour l’Enseignement, la Science et la Culture. A Consta, on contournait le problème en faisant semblant de former et en donnant de faux diplômes. Parfois après de fictifs cours du soir. Quant aux libraires militants comme Book+, ils se fondent dans la masse en vendant aussi des livres torchons. Tout à coup, je réalisai qu’il faisait frisquet.

- C’est frais ici. Quelle température fait-il ?
- Ici, je ne sais pas. Dehors, 451 degrés Fahrenheit, répondit immédiatement le libraire. A Consta, c’est une température quasi constante et les saisons n’existent plus. Elles sont perçues comme des signes contestataires et comme une volonté de se diversifier alors que l’unicité est une constante inscrite dans la constitution de la cité. Le gouvernement essaye quand même de jalonner l’année par des manifestations. En ce moment, c’est la distillation de l’eau de lauriers roses.
- Pourquoi spécialement les lauriers roses ?
- Avant, on distillait l’eau de rose mais les roses ne poussent plus depuis longtemps. Un poète qui essaie de vendre ses recueils chez moi dit qu’elles sont trop tristes pour éclore.
- Ah, c’est beau et triste en même temps. Pourquoi est-ce que vous n’essayez pas d’en replanter ?
- On a bien essayé, il n’y a rien faire, elles ne veulent pas. Alors, à défaut, on se rabat sur les lauriers roses. Evidemment, le résultat n’est pas le même mais on garde les subventions de la Ligue Mondiale.

A notre sortie de la librairie, je vis une foule incroyable amassée devant la porte du théâtre. Plus que foule, il y avait cohue.

-       Qu’est-ce que c’est ?
-       Un gala dansant animé par une troupe de Safwa. C’était une confrérie religieuse à l’origine. Maintenant tous les orchestres s’en réclament pour faire recette.
-       En tous cas, cela semble avoir plus de succès qu’écrire des livres ou que de les vendre.

Le lendemain matin, sur le chemin du nefodrome, je résolus de poser les questions qui me brûlaient les lèvres.

-       Boufanion, je voulais te demander. Dans le taxi, j’ai décodé quelques mots et quelques phrases de votre texte sacré. J’ai cru comprendre que ça parlait de parfaire son travail autant que possible et plein de choses merveilleuses. Pourquoi les Consti font-ils le contraire ?
-       Les Consti sont incapables de parfaire leur travail. Ils sont bien monothéistes mais ils sont également fatalistes et dichotomes.
-       Oui, j’ai remarqué. Mais votre clergé, il ne vous fait pas la leçon ?
-       Certains Consti appliquent les textes dans la forme et ils sont reconnaissables à leur accoutrement. D’autres, beaucoup moins nombreux, l’appliquent dans le fond mais la société les considère comme anachroniques. Les premiers reconnaissent un certain clergé mais il est loin à l’Est. Et puis les gens de ce clergé ont d’autres chats à fouetter. Entre nous, c’est bien mieux comme ça. Sinon, il déclarerait hérétiques presque tous les Consti.
-       J’ai aussi remarqué que le voyage dans le temps se fait plus du Nord vers le Sud qu’en sens inverse.
-       Ah mais les Consti adorent voyager, surtout les jeunes. Le voyage qu’ils préfèrent est la traversée en quelques jours du désert bleu. Vous connaissez ?
-       Oui, je connais. C’est une sorte de désert liquide qui vous sépare des pays du Nord. C’était une mer, avant.
-       Oui, c’était. Les jeunes sont prêts à payer très cher pour le traverser.
-       Au fait, pourquoi ils tiennent tant à cette traversée ?
-       Pour admirer ce que construisent les autres.
-       Pourquoi ne construisez-vous pas des choses aussi admirables ici, vous avez tout ce qu’il faut, non ?
-       On a bien essayé. Même que le gouvernement a promulgué une loi qui punit de prison ceux qui partent ailleurs pour admirer ce qui est constructible à Consta. Et vous savez quoi, les Consti ont trouvé la parade. Ils détruisent eux-mêmes leurs constructions pour justifier leur voyage.

Durant les huit minutes du trajet de retour, les images de synthèse ne purent pas me faire oublier ce que j’avais vu et vécu. Je ne savais pas encore si j’allais raconter ce voyage à mes amis comme un cauchemar ou comme une dystopie. Le voyage aurait pu être dépaysant n’eut été que le calendrier de ma machine à voyager dans le temps indiquait que j’avais voyagé vers 2011. Ce fut la première chose que je demandai au GF.

-       Bof ! Ca doit être une panne technique. C’est courant quand on vient de là-bas. Vous êtes là, c’est l’essentiel. Alors, ça vous a plu.
-       C’était instructif.
-       Superbe. Je vous ai envoyé d’autres formules de voyages sur votre boîte électronique. Nous serions heureux de vous compter parmi nos fidèles clients. Et puis, sachez que si vous nous en amenez d’autres, vous deviendrez parrain et cela cous donnera droit à des tarifs avantageux et à plein de cadeaux.
-       Je crois que vais proposer au ministère de l’éducation de devenir votre meilleur client. Les élèves apprendront beaucoup de choses et vivront mieux une fois adultes. Au début de ce voyage, vous m’aviez dit que je pouvais observer mais rien changer et que seuls les contemporains le peuvaient.
-       Oui, c’est bien ça.
-       Eh bien vous-vous trompez. On peut toujours changer quelque chose. Ce que nous faisons maintenant, c’est tout simplement notre passé à nous et le futur de nos enfants.

Je quittai l’agence et laissai le GF un peu perplexe, ne sachant trop si je me payais sa tête ou si je lui annonçais qu’il allait enfin troquer son T-shirt contre un costume cravate et un cigare.

Que la vie était belle ! Si seulement nous savions mieux en profiter et en faire mieux profiter les autres. Certains croient qu’ils peuvent en profiter seuls. Ils oublient que lorsque les autres n’en profitent pas, ils leurs pourrissent la vie et tout le monde finit par être logé à la même enseigne. Ah, l’homme, cet imbécile.