lundi 1 juillet 2013

Les Frères musulmans au pouvoir : propulsés ou incompétents ?

Ne pensant pas, comme les salafistes, que la véracité du message divin les exonère de réflexion et de novation, les Frères musulmans pensent, quand même, que la moralisation de la vie publique est préliminaire à toute solution. Aujourd’hui confrontés à la réalité, les principes s’avèrent être trop peu détaillés pour être immédiatement applicables dans le contexte. Dans le passé, les Frères musulmans ont divergé entre ne pas participer au gouvernement pour ne pas se corrompre, et y participer pour influer un tant soit peu sur sa politique. Là où c’est possible, ils ont choisi la deuxième option. D’abord pour acquérir de l’expérience. Puis, parce qu’ils sont épuisés d’attendre et qu’ils sont persuadés que le changement est plus rapide par le haut.

En Egypte, à l’écart du pouvoir exécutif depuis Nasser, la chute de Moubarak a été pour eux une occasion inespérée de parvenir enfin. Avec la possibilité de minimiser les concessions, puisque tout serait balayé et complètement refait. Si les artistes et les intellectuels qui dénoncent ce qu’ils appellent la « akhwana » (je traduirais par : frérisation) de la culture doivent être entendus, demander à Morsi de partir un an seulement après son arrivée est insensé. Autre remarque, il est inhabituel que ce soit l’armée qui donne cette estimation de plusieurs millions d’Egyptiens (17, selon la presse internationale), manifestant contre Morsi, le 30 juin 2013. Cela confirme que l’armée égyptienne ne soutient pas son président qui veut la mettre au pas. Cela fait douter qu’un tel rassemblement ait pu être organisé exclusivement de l’intérieur. Mais, pourquoi cet étranger, planificateur du Printemps arabe, chercherait-il à déstabiliser les Frères qui l’ont aidé pendant ces révoltes ? En aidant les islamistes à accéder au pouvoir puis en les déstabilisant, cet étranger les discrédite aux yeux de leurs peuples et justifie le retour de l’armée, son véritable allié. Persuadés que la démocratie ne leur sied pas et que la dictature est le régime le moins mauvais, ces peuples se soumettront.

En Tunisie, une entente entre les Frères musulmans, les autres tendances politiques et la société civile, est possible. Le projet final de Constitution a commencé aujourd’hui même à être débattu, bien que la troïka islamiste (Ettakattol) n’ait plus la majorité requise aux deux tiers, à l’Assemblée nationale constituante. Que cela aille ou non au référendum, le problème de l’islamisme tunisien est qu’il n’a pas l’expérience du pouvoir, encore moins qu’en Egypte, ainsi que dans l’instabilité que pourrait occasionner l’entêtement des salafistes. Ces derniers ne font pas de concession et les heurts qui ont éclaté entre les autorités tunisiennes et Ansar al-charia, en mai dernier, ont prouvé qu’ils ne se soucient pas de légalité lorsqu’ils activent.


En Algérie, les Frères sont entrés au gouvernement et ont bénéficié d’une certaine indulgence grâce à leur soutien contre le terrorisme. Ils ont perdu en crédibilité en soutenant le candidat du régime pendant des années et leurs ministres soupçonnés de corruption ont fait scission. Au sein de leur principal parti, ils font face à deux défis. Dépasser l’aversion engendrée par le terrorisme islamiste des années 1990 et réintégrer l’opposition avec un nouveau chef politique non charismatique. Plus inquiétants depuis qu’ils tentent de se coaliser avec les autres partis islamistes, ils serviront d’épouvantail, bénéfique au candidat du système, aux prochaines élections présidentielles. Dans le scénario de la main étrangère que j’ai évoqué, le risque est plus faible qu’ailleurs que les Frères prennent le pouvoir. Ce qui justifierait le retour de l’armée serait, alors, la déliquescence des institutions et la menace de chaos, accélérées par l’absence du chef d’Etat, convalescent depuis plus de deux mois à Paris.

Si la sournoiserie est banale en politique, elle est moins tolérée pour les Frères musulmans car, aux yeux des gens, ils sont censés ne pas mentir. Au regard de cette sournoiserie, on comprend pourquoi certains craignent que les islamistes, en général, prennent le pouvoir par la démocratie pour abolir la démocratie. La démocratie n’est pas parfaite, mais il faut savoir qu’elle n’a pas été inventée sous ce nom puis améliorée. Elle est le résultat de maints ajustements qui ont abouti à l’instauration du mandat, pour pouvoir sanctionner l’élu qui ne tient pas ses promesses. Si les Frères musulmans ratent ce virage, ils sont soit utopistes soit incompétents. Dans tous les cas de figure, ils sont en train de démontrer que la piété, prétendue ou réelle, ne confère pas la clairvoyance. Plus encore, la grande leçon est que, pour sanctionner un régime, son extrême opposé n’est pas nécessairement la meilleure solution.

Hichem Achi

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