mercredi 30 mars 2011

De Piaf à Sarkozy, ou l’esthétique de la France



Lorsque Nicolas Sarkozy a parlé de l’antériorité du christianisme sur l’islam, j’ai pensé : « Le christianisme s’est installé en France alors que le paganisme lui était antérieur ». Lorsqu’il a dit que la chrétienté avait légué aux Français un magnifique héritage de civilisation et de culture [1], j’ai rétorqué : « Ce n’est pas la chrétienté qui a légué aux Français un pays magnifique mais plutôt la culture des Français, fussent-ils ou non chrétiens ». Je m’empressai d’ajouter « L’islam ne peut pas ternir cette magnificence. Les imbéciles le peuvent. »

Plus que belle, la France est l’un des rares pays au monde qui n’appartient pas qu’à sa population, c’est un « pays patrimoine de l’humanité ».

Allons droit au but et disons clairement que la « contre-esthétique » dont parle indirectement le président français concerne avant tout les Arabes. Les Maghrébins, plus précisément. Je parlerai donc explicitement des Algériens tout en sachant que le constat est valable pour les Maghrébins. J’insiste également sur le fait que cette contre-esthétique est imputable aux traditions, et donc au caractère et au tempérament, non à la religion. Le problème de la prière dans la rue étant à aborder différemment.

La violence par l’apparence, à laquelle est confrontée la France en ce moment, est le résultat d’une confusion entre religion et traditions algériennes à travers lesquelles s’identifient ceux qui sont pointés du doigt. A ladite identification à un pays étranger vient s’ajouter l’influence de « guides » spirituels autoproclamés qui leur disent que l’islam a été révélé avec barbe et gandoura et que tout ce qui n’existait pas du temps de Mahomet (qsssl) est « haram » (illicite). Le résultat est une uniformisation wahhabiste ridicule dont un aperçu est disponible en regardant les femmes qui portent la burqa ou le voile intégral.

Juste sur le vêtement, imaginons comment s’habillerait un musulman Français « de souche ». Il est possible qu’après un voyage dans un pays arabe, il se mette à porter la gandoura. Mais il est également possible, et préférable à mes yeux, qu’il continue à porter des vêtements européens pour préserver la culture vestimentaire de son pays. Beaucoup de Français d’origine algérienne le font car ils ont compris que la beauté du pays où ils vivent doit être préservée.

Que serait la culture de l’Extrême-Orient ou celle de l’Afrique subsaharienne si les musulmans y avaient imposé les styles (vestimentaire et autre) de l’Arabie ? Celle d’un no man’s land.

L’islam ne peut pas prétendre à l’universalité s’il ne porte pas en lui les outils de son adaptation aux différentes situations dans le temps et dans l’espace, tant que ces adaptations ne nient pas son dogme. L’islam qui est né dans le désert, loin de toute civilisation urbaine, a su respecter et à faire siennes celles qu’il a rencontrées. Ceci lui a permis de donner à l’humanité un urbanisme et une culture remarquables.

Or, il prétend à l’universalité. Il ne peut donc pas balayer tout cet héritage d’un revers de la main en uniformisant les cultures et les modes sociaux. Le Coran lui-même s’y oppose puisqu’il reconnaît les peuples et cite leur différenciation comme une manifestation de la richesse de sa création [2].

Pourquoi est-on obligé de penser « pays arabes » dès qu’on pense « islam » ? Illustrons.

Lorsqu’on apprit qu’Edith Piaf avait eu une grand-mère Kabyle, cela n’avait diminué en rien son aura dans l’inconscient des Français. Cette aura aurait-elle pu être diminuée si elle avait été musulmane ? De suite, je l’imaginai musulmane et la vis lever les yeux vers le ciel :

« Allah, Allah, ai-je donc mal agi ? Mon Allah, pourrais-tu seulement me reprocher d’aimer, toi qui aimes toutes tes créatures et qui es amour ? Je sais que Marcel n’est pas musulman mais ai-je besoin de te dire le bien qui est en lui ? Tu le sais déjà, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas être sourd aux palpitations de mon cœur alors que tu les a faites si fortes. »

D’un élan spontané, elle ouvrit son bahut et se saisit de sa robe kabyle qu’elle enfila par-dessus celle qu’elle portait. Elle se regarda un instant dans la glace. « Et si je montais sur scène avec ? Non. Cette robe kabyle est très jolie mais elle n’est pas faite pour Paris. Je suis sûre que si la Kabylie était en France, les Kabyles porteraient autre chose. »

Elle repensa à Marcel Cerdan et son regard s’illumina. Elle se mit à chanter « la Vie en rose ». Sans qu’elle y fisse attention, elle se mit à enjoliver les mélodies de cette chanson en s’inspirant de mélodies kabyles qu’il lui arrivait d’entendre. Très vite, sa voix grésillante emplit tout l’immeuble, puis toute la rue, et chacun s’arrêta aussitôt de faire ce qu’il faisait. Des camaïeux de rose se mirent à miroiter dans les yeux de ceux qui écoutaient et, pour quelques magiques instants, la dureté de la vie s’estompa. Elle en avait du cœur, la Môme.

Cette courte fiction, que certains n’apprécieront peut-être pas, aurait très bien pu avoir pour principal personnage Maurice Chevalier qui, une fois devenu musulman, n’aurait rien abandonné de son élégance et de son charme indémodables.

Cela n’aurait pas empêché, non plus, Yves Montand de chanter :

« Quand nous chanterons le temps des cerises,
   Et gai rossignol et merle moqueur
   Seront tous en fête !
   Les belles auront la folie en tête
   Et les amoureux, du soleil au cœur 
   Quand nous chanterons le temps des cerises
   Sifflera bien mieux le merle moqueur
». [3]

Ou Barbara de chanter :

« Pour toi soudain le gris du ciel n'est plus si gris,
   Pour toi soudain le poids des jours n'est plus si lourd.
   Voilà que sans savoir pourquoi soudain tu ris,
   Voilà que sans savoir pourquoi soudain tu vis,
   Car te voilà, oui te voilà
   Amoureuse,
   Amoureuse,
   Amoureuse, tellement amoureuse. »
[4]

« Ah là, c’est Allah ». N’aurait pas manqué de s’exclamer Raymond Devos en les écoutant.

Parallèlement à ceux qui ne peuvent pas s’imaginer musulmans sans se projeter en pays arabe, il y a ceux qui le font sciemment. Pour ces Français là, le malaise de la relation de l’ancien empire colonial français à leur pays d’origine est une des causes de leur refus de s’intégrer. La solution est donc à deux grands volets.

  1. Le volet historique qu’il faut confier plus intensément aux sociétés civiles puisque la diplomatie peine à lui trouver une issue honorable.
  1. Le volet socioculturel qui consiste à leur inculquer le pluralisme culturel et à les dissocier de leur attachement géographique à un pays étranger. Cette dichotomie de l’appartenance m’amène à évoquer le concept de communauté (la oumma) dans sa considération islamiste. J’espère pouvoir lui consacrer un article dans le futur.
En parlant de détachement du pays d’origine, je ne dis pas qu’on est obligé de renoncer à ses traditions. Mais lorsqu’on refuse d’en abandonner quelques unes et d’en adopter quelques autres du pays d’accueil, cela devient problématique.

En France, le détachement de ces Français d’origine algérienne aurait pu s’enclencher dès 1983, si la « Marche des beurs » avait suffisamment fait bouger les choses. Et c’est parce que les choses n’ont pas suffisamment bougé, que la génération suivante, désespérée d’être acceptée un jour comme composante citoyenne à part entière, a ressenti le besoin de projeter son appartenance religieuse sur une aire géographique éloignée, avec tout ce que cela induit en matière de comportements. Ce détachement est encore possible.

Pour cela, il faut que ces citoyens prennent conscience qu’être musulman n’est pas lié à une origine géographique donnée. Une prise de conscience pour laquelle ils devront être aidés. Il faut aussi que les autres Français arrêtent de les considérer, ad vitam æternam, comme des étrangers. Le rejet ne fera que raffermir leur attachement à leurs pays d’origine.

Dans la perspective de ce détachement, accepter que des pays musulmans financent les mosquées de France est une contradiction flagrante.

On ne manquera pas, pour autant, d’opposer à cela le fait que la république laïque finance bien les églises. Je crois qu’il faut séparer les églises à financer de celles qui devront elles-mêmes se prendre en charge. Cette séparation pourrait être faite en fonction de celles qui seront ou non classées « monuments historiques ». Ce qui leur permettrait d’être au dessus de la mêlée. Rien de choquant, en considération de leur valeur immatérielle indéniable, qui dépasse largement la dimension religieuse.

Alors, comment faire comprendre à ces Français musulmans d’origine algérienne, que l’islam ne peut pas rejeter l’esthétique d’un pays ou il s’installe ?
 
  1. Associer l’universalité de l’islam à son Histoire qui a respecté les cultures des pays que cette religion a rencontrés. Les universités et les instituts de recherche doivent y prendre part en commençant par ouvrir des filières dans cette perspective. L’Etat inclura dans les programmes scolaires des cours destinés à cela. L’action culturelle ne devra pas être en reste : émissions, revues, colloques, etc. Il faudra éviter d’enfermer ces actions dans le scientisme. La science est nécessaire, la vulgarisation aussi.

  1. Faire exercer ces Français (surtout leurs enfants) à l’empathie afin qu’ils arrivent à se voire comme des Français de souche devenus musulmans et non comme des Arabes musulmans devenus Français. Par les programmes scolaires et par le théâtre et les jeux de rôles. Par le débat public également. Il ne leur est pas demandé de renoncer à leur arabité mais de comprendre qu’il y d’autres voies pour vivre pleinement leur foi sans heurter les autres.

  1. Banaliser la culture du « halal » et insister sur le fait que ce dernier doit côtoyer le non halal. C’est une erreur de combattre le halal comme c’est une erreur de le séparer du reste. Tout doit se tenir côte à côte pour bien signifier qu’aucune culture ne chasse l’autre.

  1. Montrer que les cultures peuvent s’inspirer les unes des autres mais pas s’occire. Pourquoi ne pas associer à cette action le monde du design et de la haute couture pour démontrer que des détails arabes de conception peuvent être intégrés sans chasser le reste. Une idée : Un concours destiné aux jeunes talents et placé sous l’intitulé « Influences méditerranéennes » et dont le règlement limiterait cette influence à l’accessoire vestimentaire ou au motif, par exemple.

Je ne parle pas des musulmans non français qui sont en France, ceux qui acceptent de faire la prière dans la rue en s’accaparant un espace public appartenant aux citoyens dont ils ne sont pas. Par cette attitude, ils font preuve d’inconscience et d’égoïsme. Inconscience de présenter l’islam comme une religion de désordre et d’illégalité. Egoïsme de préférer gagner liturgiquement de bons points (hassanate) par la prière collective mais en occasionnant une gêne aux autres et en les empêchant de passer.

Je parle de ces silencieux Français musulmans d’origine algérienne, qui ont fait le choix de la laïcité et de la république respectueuse de la diversité mais aussi de l’Histoire et de la culture du lieu. Ils doivent se sentir concernés et ne plus se taire. A toutes les occasions, ils devront dire aux réfractaires que : « Allah est beau et il aime la beauté » [5].

Après l'indépendance de l’Algérie, les Algériens ont été spoliés de leur liberté et beaucoup de ceux qui pouvaient parler se sont tus. En serions nous là s’ils avaient eu le courage de dénoncer les dérives et d’agir ?

Si la France, ce pays patrimoine de l’humanité, perd son équilibre esthétique, et ce risque peut vite devenir réel, ils perdront énormément de ce pour quoi ils y vivent. Il faudrait alors qu’ils se demandent, dès maintenant, si y rester continuerait à leur plaire.



Notes
[1] Discours de Puy-en-Velay, du 3 mars 2011.

[2] Coran, 30ème sourate (Ar-Rum), verset 22.

[3] Extrait de « Le temps des cerises », paroles de Jean-Baptiste Clément, 1866.


[5] Citation de Mahomet (qsssl) d’après son compagnon Ibn Messaoud, rapportée par Muslim.


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