vendredi 1 avril 2011

Eternel est qui bien fait




En regardant un bout de l’émission sur « le marché de la mort » sur France5, le 1er avril 2011 (le 31 mars pour l’insomniaque que je suis et sans poisson d’avril), j’ai vu que de plus en plus de personnes planifiaient leur enterrement dans les moindres détails. Des prestataires de services investissent ce marché et un « salon de la mort » est même organisé.

Je me suis dit qu’autrefois, en pensant à la mort, on se souciait surtout de savoir ce qui allait arriver à sa progéniture et qu’aujourd’hui, on se soucie plutôt de maîtriser son sort même après sa propre mort. Ne pouvons-nous pas inhumer les autres et compter sur les autres pour nous inhumer ? A l’évidence, l’individualisme a de beaux jours devant lui.

L’homme a toujours eu peur de la mort mais celui d’antan a pu trouver le moyen de devenir éternel. Les puissants se sont éternisés en se momifiant ou en programmant l’érection de leur statue. Le symbole était fort, d’autant qu’il était obligatoirement érigé au centre de la cité, là ou tout le monde était obligé de le voir et, dans certains cas, de se prosterner. Les conquérants détruisaient les statues des vaincus. Plus symbolique, ils les décapitaient. Dans certains pays anciens, la tête du souverain mort pouvait être remplacée par celle de son successeur. Un clou chasse l’autre.

Si les rois avaient réfléchi à ce signe, en écoutant scander « le Roi est mort, vive le Roi » et en pensant qu’un jour ce serait leur propre tête qui tomberait, leur arrogance aurait été réfrénée et l’humanité aurait évité bien des malheurs.

Plus tard, l’invention de la photographie a rendu plus facile et moins onéreux de se faire rappeler aux vivants, une fois mort. Les technologies du virtuel, qui permettent toutes les fantaisies avec les albums photos ou même la simulation de sa propre image en trois dimensions, n’ont pas suffi aux riches dont le propre est de se distinguer. Alors, ceux d’entre eux qui refusent de mourir dépensent pour leur jouvence sans compter ou ont recours à la cryogénie. Ceux d’entre eux qui acceptent de mourir s’assurent quand même un confort post mortem. Tant mieux pour le défunt et tant pis pour les vivants. Certains vont au-delà de cette recherche de confort pour exiger la singularité, voire l’excentrisme, à l’image de ceux qui veulent être « enterrés » dans une capsule voulue pour flotter indéfiniment dans l’espace.

Le refus de mourir est lié à la peur de ce qu’il y a après la mort. Les progrès de la médecine font croire à certains qu’un jour on saura comment rester éternellement en bonne santé. Pourquoi mourir si cela est possible ? L’ « espérance » de vie est sans cesse augmentée et, paradoxalement, la natalité baisse, annonciatrice de mort. La population vieillit, de nouveaux problèmes apparaissent et des questions lancinantes se posent. Qui travaillera pour faire vivre les vieux ? Faut-il importer des jeunes ? L’euthanasie est-elle une fuite en avant face à la mort ? Que faire des vieux qui ne meurent pas ?

En réponse à la dernière question et pour soulager sa conscience en les éloignant des yeux (et du cœur), on les regroupe dans des maisons de vieillesse, là où la programmation d’activités d’animation trahit leur mort dans la perception des programmateurs. On n’anime pas ceux qui sont déjà vivants.

Des idées comme celle de loger de jeunes étudiants avec les seniors sont à encourager. Rien ne peut être plus absurde qu’une société où les jeunes sont séparés des vieux. En Algérie, les maisons censées proposer des animations culturelles sous le label « maisons de jeunes » sont un échec. Les jeunes ne peuvent pas apprendre aux jeunes, les vieux le peuvent. Les jeunes et les moins jeunes doivent donc vivre ensemble. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait.

Je ne pense pas qu’il faille revenir aux anciens modèles qui régissaient les relations entre individus au sein d’une même société. Ce serait trop facile et cela remettrait en cause bien des choses qui sont plus ou moins considérées comme des acquis de la liberté individuelle. Vouloir revenir aux anciens modèles peut également vouloir dire qu’on est incapable de trouver des solutions face à un problème nouveau.

Il est plus de cinq heures du matin à Constantine, sur la chaîne LCP, vient de se terminer une émission où des jeunes parlaient de se mettre « tous au vert » et la voix de Jean-Marie Colombani n’arrive pas à couvrir le chant du merle noir que j’entends depuis ma chambre (c’est un mâle qui vient toujours à l’aube). Je vais donc m’arrêter. Je crois que la véritable éternité sur terre est celle qui laisse une trace bénéfique pour l’humanité. Gustave Eiffel n’a pas gagné l’éternité en construisant une ossature métallique pour sa propre statue. Il a gagné l’éternité en construisant l’ossature de la statue de la Liberté et en construisant la tour Eiffel, un édifice qui fascine toujours et qui s’est hissé au rang de symbole pour tout un pays. Alors, œuvrons grand et mourons humbles.




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