samedi 23 avril 2011

Entre intégration et assimilation




Sur la chaîne télévisée LCP1, on a annoncé que deux Français sur trois pensent que le modèle d’intégration à la française fonctionne mal. Au cours de la même émission, Henri Guaino a utilisé l’expression « désintégration de la société française ». L’expression pourrait sembler être un peu forte. Un peu forte pour le moment. Si rien n’est entrepris, il y aura désintégration. C’est pour cela que je renouvelle ma caution pour l’actuel débat sur la laïcité en France et ce n’est pas l’aveuglement volontaire de certains ni une verte cocarde en forme d’étoile à cinq branches qui pourra évacuer le malaise. Ceux qui sont montrés du doigt ne sont pas les musulmans. Ce sont ceux qui refusent de respecter les autres. J’aurai la même opinion de ceux qui ne respectent pas les autres, qu’ils soient ou non musulmans. Et là, j’ouvre une parenthèse.

J’entends tout le temps dire que le respect doit être mutuel et que les non musulmans doivent respecter les musulmans dont le mode de pratique religieuse est plus visible que celui des coreligionnaires. Le respect n’est pas seulement de se tolérer mutuellement, d’accepter la différence et de se dire bonjour. Celui là est civiquement indispensable et personne ne le remet en cause. Le respect consiste à adopter l’héritage culturel du pays dans lequel on se trouve. A ceux qui disent qu’ils sont en France depuis plusieurs générations et qu’ils sont aussi français que tous les autres, je dis que l’héritage culturel d’un pays ne se métisse pas et ne mue pas en quelques générations mais en quelques siècles. Lorsqu’il y a présence de plusieurs cultures dans le même temps et le même espace, c’est toujours la dernière arrivée qui doit faire le plus de concessions. Pas dans sa foi mais dans ses traditions. Lorsque c’est le contraire, cela devient une révolution. Avec le temps, la deuxième culture devient, à part entière, un élément de la culture endogène.

Les Français doivent également se rendre compte que les anciens processus d’apprentissage de la citoyenneté ne sont pas nécessairement les mieux indiqués pour aujourd’hui. Parce que les immigrations qu’ont précédemment connues les pays d’accueil iront en s’accélérant. Les révoltes arabes finiront par s’apaiser et les flux d’immigrants ne se déverseront plus avec autant de force sur Lampedusa pour remonter par la Côte d’Azur. Par contre, les flux d’immigrants mus par les changements climatiques iront en croissant. Le phénomène ne sera pas spécifique à la France ou à l’Europe et les pays du Maghreb seront également concernés. Les mécanismes d’apprentissage de la citoyenneté devront donc être pensés pour le long terme.

Lors de la même émission, un intervenant a dit qu’entre intégration et assimilation, il y avait la citoyenneté. Certes, seulement voilà, cette citoyenneté a fait l’objet d’un apprentissage et d’une législation qui n’ont pas été pour répondre aux données actuelles. La législation est en train de changer, pas l’apprentissage. Pourtant, c’est le plus important des deux. Dans un pays où l’immigration est infime, l’apprentissage de la citoyenneté ne pose aucun problème en particulier parce qu’il est fait par des jeunes et futurs citoyens qui ressembleront énormément à leurs aînés. On ne se pose pas la question de savoir ce que va devenir l’enfant d’une Algérienne et d’un Algérien vivant en Algérie. Autrement dit, cet apprentissage de la citoyenneté se faisait naturellement. La même simplicité n’est pas possible dans l’actuelle France où des Français sont Français depuis quelques décennies seulement. La question n’est pas de savoir qui a tort ou qui a raison mais de savoir que faire pour « bien » vivre ensemble. Je ne doute pas que, dans le futur, cet apprentissage redeviendra « opérationnel ». Cependant, le décalage qui existe aujourd’hui a besoin de quelques retouches afin d’être actualisé. En 1582, Le pape Grégoire XIII a jugé nécessaire d’incrémenter le calendrier en sautant dix jours. En faisant cela, il n’a pas été infaillible mais il a agi. Cent soixante-dix ans plus tard, les Britanniques ont dû incrémenter à leur tour.

J’ai mis le mot « bien » entre guillemets parce que le « vivre ensemble » peut se faire de différentes manières, y compris par le « mal vivre ensemble ». De fait, à bord d’un même bateau, on n’a pas vraiment le choix. Bien vivre ensemble est possible et al-Andalus en est un bon exemple. Là, on a réussi à bien vivre ensemble parce qu’on a su bien doser la marmite.

Contrairement à ce beaucoup croient, les musulmans qui ont régné sur al-Andalus ont plus arabisé qu’islamisé. Conclusion, la religion était l’affaire de tout un chacun et cela rappelle une certaine laïcité dont discuter semble aujourd’hui être irritant et presque blasphématoire. La pratique religieuse était volontairement affichée, et même exhibée, parce que l’islam était religion d’Etat et que le monarque se devait de montrer sa piété. Par conséquent les trois facteurs de cohésion étaient : la langue officielle, le destin commun et l’unité décisionnelle. Après que cela ait été dit, il devient clair qu’il est fondamental d’exiger des nouveaux immigrés qu’ils maîtrisent la langue du pays d’accueil et qu’ils se plient à l’autorité des lois locales. Pour le destin commun, c’est autre chose à cause de la double appartenance que procure la double nationalité.

Le modèle multiculturel d’al-Andalus, où les cultures étaient diverses mais nettement séparées, ne peut pas marcher aujourd’hui parce que, en ce temps là, les entités culturelles étaient dans un rapport de dominant à dominé. Les cultures cohabitaient mais une seule avait la priorité sur les autres : celle qui était au pouvoir. Ce qui n’a pas empêché que des non musulmans soient régulièrement sollicités pour leur compétence. Une polarisation de talents qui a fait émerger le pays. Plus tard, les réfugiés d’al-Andalus au Maghreb (entre autres) se sont enfermés sur eux-mêmes et ce fut progressivement la décadence.

Ce modèle là ne peut même plus être envisagé car il supposerait un virage brutal à chaque fois qu’il y a alternance au pouvoir, quelle que soit l’échelon de ce pouvoir. Il n’y aurait plus de progrès car chacun consacrerait son mandat à démolir ce qu’a construit son prédécesseur. L’expérience du multiculturalisme ne peut pas marcher aujourd’hui parce que les citoyens sont dans un rapport d’égalité. Personne ne peut dominer l’autre. On peut l’emporter en faisant valoir son talent, et se faire élire est une démonstration de son talent, mais une fois l’ayant emporté, on ne peut pas imposer sa loi. Les expériences, britannique et allemande, du multiculturalisme ont enregistré quelques succès mais sont globalement perçus comme des échecs. Pas à cause de la multiplicité des cultures et de leur antagonisme, apparent ou réel. Elles ont été des échecs à cause de la double appartenance (double nationalité) et à cause de l’incapacité de certains citoyens d’origine étrangère de se départir de quelques traditions fondamentalement construites autour de l’unicité en tout. La meilleure réponse à ceux qui rejettent en bloc la culture du pays d’accueil est de les mettre devant leurs contradictions. Oui, il y en a et j’espère pouvoir en parler prochainement plus en détail.

Je reviens à la citoyenneté. La preuve qu’elle ne suffit plus est dans le fait qu’elle ne donne plus les résultats espérés et c’est déjà une avancée que toutes les tendances le reconnaissent. Par ailleurs, la citoyenneté est un concept qui touche aux comportements du citoyen au sein d’une société qu’il considère sienne (je ne dis pas « comme » sienne). Or, certains ne se considèrent citoyens que par leurs papiers civils, mais pas par leur obédience civile. Par obédience civile, je parle de ce sentiment d’appartenance qui fait en sorte qu’on est content lorsque le pays gagne la coupe du monde de football (par exemple) même si l’on n’aime pas le foot. Le minimum de cette obédience civile est de ne pas siffler l’hymne national du pays dont on a la nationalité. Pourquoi ? Parce que personne ne peut accepter qu’on ne respecte pas ses symboles et parce qu’on ne peut qu’être content lorsque les siens le sont.

Certains Français ne se sentent pas français. Ils ne se sont pas intégrés et ne veulent pas être assimilés. Sur le deuxième point, je les comprends comme je comprends Aimé Césaire qui a consacré sa vie à ériger la négritude face à l’assimilation négatrice de l’identité. Je crois qu’il faudrait inventer un nouveau concept qui se situe entre les deux. Humoristiquement, je dirais : « assimigration ».

Cela me rappelle une anecdote. Lors d’une discussion chez des amis, autour de l’état inquiétant dans lequel se trouvait Constantine (ça a empiré, depuis), un voisin mozabite fraîchement installé m’avait demandé malicieusement : « Moi, je ne suis pas Constantinois. Finalement, c’est quoi que d’être Constantinois ? ». Je répondis : lorsqu’on ne jette pas ses ordures par la fenêtre, on est citadin. Lorsqu’on se sent mal à l’aise parce que d’autres habitants de Constantine jettent leurs ordures par les fenêtres, on est Constantinois. Après ça, peu importe qu’on y soit né ou non.

A la ghettoïsation, contribuent les cités dortoirs. Ces « zones » d’habitation en forme de parallélépipèdes où on peut caser un maximum de gens, sont une erreur de l’urbanisme. Le constat n’est plus à prouver, il faudrait juste penser aux palliatifs. L’urbanisme est une très grande discipline où l’on apprend qu’à problème complexe, solution complexe. Une initiative comme celle qui permet aux demandeurs d’acquérir un logement, à un prix fixé d’avance, ne peut pas donner les résultats escomptés pour deux raisons. D’abord, un futur acquéreur n’est pas en mesure de choisir sans qu’il n’ait de mauvaises surprises au bout de son choix. Trop de considérations lui échappent et cela est l’affaire de professionnels. Puis, la réalisation de ce genre de logements est trop étalée dans le temps pour pouvoir maîtriser les fluctuations des prix des matériaux de construction. Le fait que telle ou telle expérience n’ait pas donné les résultats escomptés ne doit pas faire baisser les bras. Aucune solution n’est bonne toujours et partout. Une solution est bonne pour un problème donné et à un moment donné. Une chose est sûre, il faut éviter de regrouper les habitants en fonction de leur religion, de leur race ou de leur origine. Il est très important que tout le monde se mélange. La seule discrimination qu’admet l’urbanisme est celle qui classe les logements en fonction de leur coût de revient ou d’entretien. Ne pas admettre cette classification revient à être pour un égalitarisme plus qu’utopique et c’est précisément cette idéologie là qui pousse à caser au lieu de loger.

Pourquoi ne pas utiliser la main d’œuvre disponible dans les cités périphériques pour construire de nouveaux logements ? Les jeunes qui sont peu qualifiés et au chômage peuvent rapidement être formés. Un manœuvre peut apprendre sur le tas. C’est comme cela que se sont formés ceux qui nous ont bâti nos édifices et nos villes, quand il n’y avait pas encore de centres de formation. Résultat, le jeune acquiert une qualification et décroche un poste. Lorsque ce poste est le premier de sa vie, ce jeune gagne plus qu’un salaire. Il aura appris que rien ne se gagne facilement et que le travail procure ce qu’aucun métier parallèle ne procure : la dignité.

Dans un précédent article, j’avais dit que l’expérience d’orientation et de canalisation des jeunes avait échoué en Algérie. Je ne crois pas qu’elle puisse réussir ailleurs. Les jeunes auront toujours besoin des moins jeunes et vice-versa. L’idéal est de se mélanger pour partager les expériences et les conseils. Nonobstant, des mécanismes de réinsertion des jeunes doivent être mis en place. Peu importe ce vers quoi on les orientera ou encouragera. L’essentiel est de combattre sans répit leur oisiveté car elle mère de tous les vices. Pour ceux qui commettent de petits méfaits comme la dégradation de mobilier urbain, je crois que le mieux serait de les obliger à fournir quelques jours de travail d’utilité publique, spécialement dans les unités qui fabriquent ou entretiennent ce mobilier urbain. Comme ça, ils auront une idée des efforts qui ont été consentis pour mettre ce mobilier à la disposition de tous et ils réfléchiront à deux fois avant de récidiver.

Je parle maintenant un peu de l’école républicaine dont tout le monde dénonce l’éloignement de ses missions originelles. A mon avis, améliorer les conditions sociales des familles des élèves en difficulté ne suffit pas à résoudre le problème. Une certaine autorité est nécessaire vis-à-vis des enfants et j’ai vu des enseignants (à la télé) presque supplier les élèves qui tiennent tête. Je sais que c’est très difficile pour ces enseignants et je tire chapeau bas à leur résistance à l’envie de tout plaquer. Cependant, ils devraient être plus intransigeants. La considération de l’enfant comme un sacré intouchable est un élément qui encourage à cette rébellion. Autrefois, les instituteurs n’hésitaient pas à donner des claques, pour autant, je ne suis pas spécialement favorable à ce que cela reprenne. Néanmoins, bien que j’aie été sage dans mon enfance, je ne me rappelle pas que mon père m’ait donné raison face à un adulte, fut-il dans l’erreur. Surenchère, certains préconisent d’interdire aux parents de donner des fessées à leurs enfants. Comme si un enfant était capable, par sa propre conscience, de distinguer le bien du mal et de ne pas faire de bêtises.

Je sais bien que des injustices sont constamment commises dans la relation complexe entre enfants et adultes. Qui d’entre-nous n’a pas lui-même connu d’injustice où on a donné raison à l’adulte alors qu’il avait tort ? Cependant, le fait de donner raison à l’adulte, dans l’impossibilité de trancher équitablement, fournit à la société une génération de futurs adultes qui sauront faire valoir l’autorité et éviter pas mal de dérives. Sans nécessairement être des bourreaux.

Les enseignants ont l’impression d’être abandonnés et ils finissent par se lasser. Il faudrait donc qu’ils soient plus rassurés et plus épaulés dans leur mission d’éducation. Pourquoi ne pas renforcer en mettant des suppléants dans les classes ? Je sais que la politique actuelle de la France est de réduire les budgets, donc les effectifs. Il est quand même possible de faire appel aux associations ou aux parents d’élèves qui seraient obligés d’assister au cours. Cette assistance au cours pourrait se faire au moins une fois par trimestre, plus fréquemment pour les parents dont les enfants refusent l’autorité. Ils ne devront pas assister à un cours où leur enfant est élève mais ils seront obligés de participer comme est obligé de siéger dans un jury tout citoyen sollicité par sa circonscription juridique. Ces parents seront plus sensibilisés à leur rôle de premier instituteur dans la société.

Autre questionnement, l’actuel modèle de l’école républicaine n’est-il pas au bout de ses possibilités ? Je crois qu’il n’en est pas loin. Cela ne sert à rien de s’évertuer à faire de tout le monde un bon élève, contre vents et marées. Les aptitudes de tous sont nécessaires pour une société prolifique et il n’y a pas de sot métier. Il faudrait beaucoup plus de visites aux ateliers d’artisans, par exemple. A défaut de pouvoir rapidement mettre en place ce système pour tous les élèves, il pourrait l’être pour ceux qui ne veulent définitivement pas étudier. Le coût de ses visites, destinées à découvrir les talents cachés et à susciter des vocations, pourrait être assumé par les parents, totalement ou en partie. Cela nécessite également de revoir à la baisse la durée minimale légale de scolarisation. Il vaut mieux se mettre à apprendre un métier à douze ans que de devenir hitiste2 à seize ans ou pénalement responsable à dix.

Le monde est en train de changer. Il a toujours été changeant mais il change plus vite qu’il ne le faisait dans le passé. Toute chose nouvelle déstabilise et fait perdre ses repères. Il ne faut pas en avoir peur mais s’y adapter. Les solutions extrêmes sont rarement les bonnes et espérer se réveiller un jour pour se retrouver quelques décennies en arrière est une espérance (de certains) qui ne se réalisera pas. Ce qui peut se réaliser c’est d’apprendre à bien vivre ensemble, à s’accepter les uns les autres mais sans laisser qui que ce soit détruire ce qui a été bâti.



Note :

1. Face aux idées, l’intégration à la française, émission regardée sur LCP le 21.04.2011. Première diffusion le 20.04.2011.

2. Hitiste : désoeuvré qui s’appuie contre un mur à longueur de journée.


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