vendredi 6 mai 2011

Le prince se marie, le monde rêvasse




L’enthousiasme qui a régné lors du mariage du prince William et de Kate Middleton, a clairement montré que les monarchies font rêver. L’évènement a mobilisé une foule de rêveurs, une kyrielle de journalistes et charrié des tonnes de produits d’artisanat importés d’Asie, allant du bol à effigie au préservatif « bijoux de la couronne ». Comme si les carats de latex pouvaient stimuler la libido. Fatuité « so british » ou fantasme de roturier ? Allez savoir ! C’est bien connu, les Anglais ne font rien comme les autres. Je salue, quand même, ce prince qui passe son service militaire (presque) comme tout le monde. Je remarque aussi que les Britanniques et les autres ont de plus en plus tendance à laisser reposer Lady Diana en paix et que Kadhafi ne revendique plus sa dépouille. Je comprends qu’il puisse être occupé à autre chose en ce moment et j’espère qu’il saura se raviser et partir dans le peu de dignité qui lui reste afin d’éviter que ne soit versé plus de sang.

Les mariages princiers font rêver plus qu’avant car le monde est dans un virage historique dont la négociation déterminera l’avenir de quelques milliards d’êtres humains. Plus que le virage lui-même, ce qui préoccupe c’est le fait qu’il n’y ait pas de pilote à bord. Pour autant, je ne crois pas que le gouvernement planétaire que préconise Jacques Attali soit la bonne solution.

La crise financière mondiale n’est pas totalement évacuée, les Arabes se révoltent et les immigrants déferlent sur le Sud de l’Europe, éprouvant la solidarité européenne et poussant à remodeler les accords de Shengen. En d’autres termes, les gens se sentent déstabilisés et en perte de repères et c’est là que ce mariage arrive pour rappeler aux plèbes qu’il existe un autre système de gouvernance qui pourrait être garant de leur stabilité. En France, certains people, comme Stéphane Bern et Lorànt Deutsch, soutiennent publiquement le cheminement vers une monarchie constitutionnelle.

Nonobstant la sympathie que leur témoignent les peuples, je vois mal comment les monarchies constitutionnelles pourraient éviter les crises ou la paupérisation. Encore un fantasme populaire qui fait croire que les caisses royales ne peuvent pas se vider. Si tel était le cas, comment un comte aurait-il pu, à lui tout seul, dilapider le trésor des rois de France ? Les monarques ne feront pas éviter les dépenses et les spéculations qui accompagnent et devancent les campagnes électorales. Un commentateur français, visiblement monarchiste, a dit : « La dynastie, ça marche. Imaginez un président comme Bush ou Kadhafi ou Sarkozy ! ». On peut tout aussi bien imaginer un monarque comme Bokassa et la dynastie qu’il pourrait engendrer, à force de concupiscence et avec droit de cuissage en renfort.

En Algérie, la monarchie est à bannir pour toujours car j’imagine ce que feraient certains gouvernants si leur hégémonie venait à être renforcée par le sentiment d’omnipotence. Elle prendrait des airs de beylicat, que les Algériens ont sollicité avant de le voir se transformer en dictature. Mais, l’Algérie est-elle vraiment compatible avec la démocratie ? Oui, mais avec des spécificités.

D’abord, il ne faut pas confondre démocratie et liberté. L’absence de démocratie « classique » en Algérie n’a pas empêché la presse d’être la plus libre du monde arabe. Je sais que c’est venu avec le multipartisme mais cette multiplicité de partis doit être revue à la baisse et je crois qu’on peut se battre légalement avec peu ou beaucoup de partis politiques. En parlant de se battre, je relance mon appel à éviter tout changement par la violence.

Pour le mode électoral, je rappelle que dans certains pays, il y a des grands électeurs dont la voix pèse plus que d’autres. Que dans tous les pays, il y a des institutions et des lobbies qui pèsent plus que le reste. En Algérie, l’armée détient le pouvoir physique, les anciens moudjahidine (anciens combattants) le pouvoir historique, les syndicats le pouvoir contestataire. Un quatrième pouvoir est à prendre en compte, le religieux. Il ne se trouve ni dans les mosquées ni dans les maquis mais dans certaines zawiyas. Beaucoup de zawiyas ne sont plus que des vestiges de confréries religieuses plus ou moins mystiques qui ont arrêté d’activer ou qui se sont délocalisées. Quelques unes sont réellement influentes.

Le cinquième pouvoir doit être celui du peuple. Un pouvoir de contrôle et d’équilibrage. Seulement, il faudrait qu’il s’exerce autrement. Je veux dire que les assemblées ne sont pas d’une grande efficacité avec leur configuration actuelle. Elles sont élues dans des conditions qui sont de plus en plus remises en cause et le sénat est partiellement constitué de personnes nommées par le chef de l’Etat. Et si ces cinq franges se réunissaient pour élire un président de la république parmi les candidats présentés par les partis politiques autorisés ? Un conseil constitué de quelques membres de chaque frange devrait donner de meilleurs résultats que les tintamarres électoraux que nous subissons juste pour singer les autres démocraties.

On peut concevoir que, dans le futur, des élections sans fraude notable puissent avoir lieu. Cependant, je doute qu’on puisse espérer que les Algériens sachent qui sont réellement les candidats qu’ils vont classer. On dit que l’apprentissage des Algériens à la démocratie tarde à se faire et on prétexte une décennie sanglante qui sert de bouc émissaire à toutes les régressions. Certes, les résiduels terroristes excommunient et tuent mais ils ne sont pas la seule source de nos maux.

La plupart des « citoyens » se fiche totalement de la démocratie dans le sens où cette dernière l’appelle à contribution. Cette majorité passive attend surtout que tout se fasse tout seul et qu’elle vienne cueillir les fruits. La cueillette peut même se faire en obstruant les rues et en vendant des produits dont ne veulent pas ceux qui les ont fabriqués. Je crois que c’est la conception algérienne du système démocratique qui doit être remise en cause.

Pourquoi pas le consensus des cinq institutions électrices, quand on sait que, de toutes façons, c’est un autre consensus informel qui élira. Alors, arrêtons d’être hypocrites et de taire ces secrets de polichinelle. Cela me rappelle le dicton populaire :

 بو سعـدية خايف من الكلاب و الكلاب خايفـين من بوسعـدية 
(Boussaadia a peur des chiens et les chiens ont peur de Boussaadia).

En plus clair : Tout le monde joue la comédie et tout le monde se regarde en chiens de faïences.

Ce consensus épargnerait au pays les frais d’une campagne électorale dont tout le monde connaît l’issue avant même qu’elle ne commence. Aujourd’hui, le déficit en légitimité qu’accuse le pouvoir a pour conséquence de limiter l’efficacité des actions du chef de l’Etat, à l’intérieur du pays. Le consensus des cinq institutions lui procurera cette légitimité et cela s’en ressentira sur le terrain.

Les partis politiques qui pourront présenter un programme et un candidat sont ceux qui sont historiques et qui ont activé sur des bases idéologiques bien assises et non conjoncturelles ou opportunistes. Pour ma part, j’en compte cinq, pas plus. Je suis pour la dissolution pure et simple des autres partis, qui jouent un vaudeville méridional de mauvaise facture avec lequel ils organisent une coûteuse et purgative tournée quinquennale. Un vaudeville où la scénarisée satire n’amuse personne.

Le bicaméralisme étant totalement inutile, le sénat devrait être dissous et définitivement abandonné. Il n’en demeure pas moins qu’au vu des processus de conception des lois, il est aberrant de continuer de qualifier l’assemblée nationale de « législative ». C’est le gouvernement qui prépare les lois et il est assez logique qu’il en soit ainsi parce que c’est lui qui est sur le terrain et il est plus en mesure de légiférer en fonction des besoins. Le législatif et l’exécutif doivent donc fusionner.

A quoi serviront les élus ? A éviter les dérives, en amendant ou en rejetant. Il sera donc plus justifié de parler d’Assemblée Populaire Nationale (APN) car le peuple y exercera son droit de regard et de rejet mais ne légiférera pas. L’APN sera constituée de personnes élues par les assemblées de wilayas (APW). Les APW seront élues par les assemblées communales (APC) qui seront issues des comités de quartiers. A cela, deux avantages : les scrutins seront mieux observés et les choix seront plus judicieux car les élus des comités de quartiers seront bien connus de leurs voisins. Les APW et APC auront droit de regard, d’amendement et de rejet sur les politiques locales. Ceci permettra plus d’autonomie afin de répondre aux attentes de certaines régions qui revendiquent, à juste titre, leurs différences ou leurs spécificités.

Pour l’Algérie, la solution n’est pas de copier ce que font nos voisins occidentaux. Elle n’est pas, non plus, dans le populisme factice qu’on n’ose pas remettre en cause de peur d’être soupçonné de blasphémer El Houari Boumediene. Elle est dans l’invention d’un système qui nous sera propre, qui permettra plus d’efficacité à nos gouvernants et à nos institutions et qui évitera au maximum les dérives de comportements et de radeaux.

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