mardi 28 mai 2013

Un, deux, trois, sursaut


La situation d’incertitude que vit l’Algérie en ce moment n’est pas due à l’absence de Bouteflika, elle est la conséquence logique de sa politique et de son économie. Parallèlement aux appels à appliquer l’article 88 de la Constitution, qui déclare l’état d’empêchement du président de la République, les appels à un sursaut national se multiplient aussi. Ces appels ne seront jamais trop nombreux, vu l’urgence et la léthargie dans laquelle est plongée la société algérienne. Les propositions politiques font de la place aux actuels responsables, par rupture dans la continuité ou par incapacité de faire autrement. En dehors de ces propositions, comment pourrait se faire le sursaut de cette insaisissable société civile ?

D’un, à un niveau individuel d’abord. L’attitude qui consiste à se démarquer des autres en les désignant par « les Algériens » ou par « le peuple » permet de se laver les mains de leurs comportements, alors qu’on en est complice par sa similitude ou par son silence. La confusion entre abnégation et sacrifice pourrait paralyser la volonté. Il n’est pas demandé aux Algériens de se sacrifier mais de s’appliquer dans leur travail. Ce n’est pas sans rapport avec la situation du pays. La médiocrité démotive et pousse à l’abandon ou au départ, affaiblissant le service public et bouclant un cercle vicieux.

De deux, en comprenant que, sans lucidité, la vigilance est simple présence. Pire, elle est relais d’informations douteuses. Comme exemple, la photo de ce qui semble être un document officiel signé par Bouteflika le 19 mai 2013, et qui circule sur Facebook. Il s’agit peut-être du décret instituant le 22 octobre « Journée nationale de la presse ». Comment est arrivée là la photo de ce document « officiel » et pourquoi ? Une des réponses est dans la signature datée, qui en fait un bulletin de santé crédibilisé. Alors que le gouvernement en est à jurer, vainement, quand bien même par Allah, que le président se porte bien, les communiqués passent mieux sur Facebook qu’au journal télévisé national. Devant cette dualité, je me demande si c’est par médiocrité ou par intelligence que ce dernier ne s’améliore pas. Pas encore.

De trois, en demandant aux intellectuels algériens vivant à l’étranger de s’impliquer ou de s’impliquer plus. Je parle de ceux, indépendants, que le régime a poussés à partir. Par leur silence, ils me rappellent ceux qui se sont tus pendant la guerre de libération et juste après. On dira que ces derniers ont eu peur et que la situation actuelle est différente. Quel que fut leur nombre et toute humaine que fut leur peur, leur attitude reste curieuse, eux que la colonisation, aux moyens de répression considérables, n’a pas empêchés de résister. Le désintéressement des intellectuels algériens vivant actuellement à l’étranger dit peut-être qu’ils considèrent leur exil comme la solution finale. Si ça n’apprend rien de nouveau sur le taux d’amour que les Algériens réservent à leur patrie, ça rend moins sincère leur anathème sur les indigènes assimilationnistes.

Je pense soudainement à ce jeu auquel j’ai joué étant enfant et qu’on appelait Un, deux, trois, feu rouge. On devait s’arrêter de progresser quand celui qui surveillait se retournait brusquement et disait feu rouge. Sous d’autres cieux, les enfants y jouent en ne disant pas feu mais soleil, piano ou autre chose. Je ne sais pas si notre spécificité est due à l’inconscient ou à la prudence de nos aînés. Elle est édifiante, en tout cas, et didactique de plusieurs points de vue. Avec ce jeu, on a trompé les enfants, de leur naissance, ou avant, jusqu’au moment où leur taille leur a permis de regarder derrière la clôture. Et je sais que l’herbe n’y est pas toujours plus verte. Avec le concert 1, 2, 3 Soleils, des millions de jeunes algériens ont cru, à tort ou à raison, que les études les encombrent et qu’ils peuvent réussir, ailleurs, à coups de décibels, en se shootant ou en chahutant. Enthousiasmé par le souvenir de mon enfance, je dis Un, deux, trois, sursaut. On me dira quand fermer les yeux ou les ouvrir.


Hichem Achi

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