vendredi 27 mai 2011

Le règne des réseaux



Sur initiative de la France, le G8 qui se tient ces 26 et 27 mai à Deauville, se fait précéder par le e-G8 Forum. Une rencontre regroupant les plus grands acteurs d’Internet (1) pour essayer d’organiser son économie. On envisage d’étendre le projet au G20 puis à la planète par le biais de l’ONU. Remarquable réplique au changement de données dû à l’émergence de nouvelles puissances économiques. Les pays du G5 détenaient 70% de la richesse mondiale lorsqu’ils se sont réunis pour la première fois en 1974. Aujourd’hui, ils n’en détiennent plus que 43% et ne représentent que 13% de la population mondiale. Nonobstant le passage du G5 au G8, il fallait réagir pour ne pas perdre le monopole.

On disait du G8 et du G20 qu’ils ne servaient qu’à faire de jolies photos souvenirs. Les seules véritables rencontres étant celles qui se faisaient en tête-à-tête, notamment entre les Etats-Unis et la Chine. En réalité, à chaque rencontre du G8, le classement des duos par degré d’importance est fonction de l’acuité des questions conjoncturelles, inscrites ou non à l’ordre du jour. Pour ce rendez-vous de Deauville et à la lecture de l’actualité, des pays souvent traités de figurants, comme la France, décrochent des rôles d’affiches. La France se redéploie culturellement avec l’ouverture du Louvre Abu Dhabi, elle a initiative dans les conflits en Libye et en Côte d’Ivoire et elle nomine Christine Lagarde à la tête du FMI après son compatriote. Ceci propulse le pays au devant de la scène internationale. De Cannes à Deauville, Nicolas Sarkozy aura grimpé des marches et pas seulement avec La Conquête. En tout cas, avec le e-G8, la question de l’utilité de ces rencontres vient de trouver sa réponse. Question parallèle : faudrait-il deux ou trois chiffres après le G pour que l’Algérie y soit définitivement admise ? Le classement CNUCED donne une idée dudit chiffre (2).

Tout spécialement après les dégâts de la dernière crise financière mondiale (il peut y en avoir d’autres), le chiffre d’affaires du commerce sur Internet donne le tournis et l’eau à la bouche. 8 000 milliards de dollars, rien que ça. On comprend alors que les appétits s’aiguisent et que la bataille, pour s’accaparer des parts de cet immense marché, ne fait que commencer. D’autant que ce sera le commerce qui devrait souffrir le moins de blocages frontaliers. Un Shengen commercial planétaire, en quelque sorte. Le rêve. Quand je dis le moins de blocages douaniers, je parle des pays où l’Etat de droit est acquis. Pour les autres, la douane officieuse pourrait très bien élire domicile chez les fournisseurs d’accès à Internet, par exemple.

Avant le G8, le G7 avait tenté de réunir trois savants par pays, pour essayer de mettre en place une plateforme pour synthétiser le savoir et la philosophie de la science. Michel Serres, qui en a été, reconnaît que ce fut un échec 3. Les savants n’ont pas réussi à se mettre d’accord à cause des différences culturelles et religieuses et ont donc décidé de s’arrêter au bout de trois rencontres. Michel Serres ne s’en étonne pas et confirme l’inutilité de cette initiative car « la science était déjà universelle depuis des millénaires ».

Le e-G8, lui, n’aborde pas cette question. La science redevient moyen et non fin. Le besoin de savoir, commanditaire de la découverte, n’en sera pas enterré mais le débat sur la contribution de la science au bonheur de l’humanité se poursuivra ailleurs. Par contre, lors de ce premier e-G8, il est question non seulement de commerce mais de politique. L’échec de l’intégration des pays en voie de développement dans l’économie mondiale n’est sûrement pas dû uniquement à la CNUCED. Cependant, l’OMC a surgi pour prendre la place, avec des objectifs pas nécessairement similaires. Aujourd’hui, l’incapacité de l’ONU à apporter des réponses aux interpellations qui lui sont destinées, pousse à envisager un gouvernement mondial. Le e-gouvernement. Ses promoteurs disent qu’il est pour plus de démocratie et de transparence, que les internautes pourront y accéder et/ou y participer et qu’il sera modifiable, voire supprimable, à tout moment. J’espère que c’est vrai et que sa charte ne sera pas le Web Patriot Act.

Le commerce par Internet annonce-il la fin des traditionnels comptoirs, show-rooms, foires et expos ? Pas tout de suite. En attendant de savoir qui supplantera l’autre, les questions sont ailleurs. D’une : quels avantages et quels inconvénients ? De deux : a-t-on le choix ?

Sur la première question, comme avantages, le e-trading permettra peut-être de résorber les déficits des économies des pays développés 4 en prenant la relève des planches à billets. Il diminuera l’énergie grise et stimulera la matière de même couleur. Quelques internautes s’enrichiront en inventant des services qu’ils monnaieront ou en sachant investir aux nouvelles bourses. Car il s’en créera de nouvelles.

Comme inconvénients, le e-trading ne sera pas palliatif au fait que l’agriculture occupe aujourd’hui 1% de la population mondiale alors qu’elle en occupait 15 dans le passé. Il sera probablement impossible de poursuivre tous les plagiaires et trafiquants. Beaucoup d’internautes seront ruinés, en jouant aux bookmakers, au poker ou en ne sachant pas investir aux bourses traditionnelles. Car ils auront peur des nouvelles, comme les perdants ont peur de la nouveauté.

Finalement, le e-trading sera un moyen comme un autre, c’est-à-dire utilisable à bon ou à mauvais escient.

L’Algérie, elle, est actuellement parmi les pays qui fournissent les 1,5 litres de pétrole nécessaires à la fabrication d’un ordinateur, moins pour un téléphone. De ce fait, elle pourrait se frotter les mains en pensant que le e-trading augmentera le nombre d’appareils et de machines dans le monde. Il ne faudrait pas qu’elle s’endorme sur ses lauriers et qu’elle oublie de se diversifier. Qu’elle reconstruise ou non son industrie et son agriculture, elle n’a pas d’autre choix que de rebondir sur cet évènement pour améliorer la qualité de son réseau Internet et les services périphériques. De toutes façons, même le commerce des hydrocarbures sera soumis à la spéculation sur Internet. Quoi qu’on fasse, le seul choix qu’on a est celui de suivre ou de rester sur la marge. Ceci pour répondre à la deuxième question.

J’en viens aux courants d’idées présents au e-G8 Forum, pour dire qu’à force de vouloir le tout payant, on risque d’exclure les pays les moins développés, plus qu’ils ne le sont déjà. En plus de la pénalisation commerciale, l’espace de liberté qu’est Internet, deviendra une frustration de plus et une raison supplémentaire pour souhaiter ou provoquer les révolutions. La cyber criminalité et le e-terrorisme augmenteront avec le reste, ça c’est sûr. Prétendre disposer des moyens adéquats pour lutter contre ces fléaux serait faux. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter le processus. Le risque zéro n’existe pas et il faut faire confiance aux générations montantes pour trouver des solutions aux problèmes qui se poseront.

La tendance actuelle à aller vers les contenus payants sur Internet, pénalisera également les internautes qui n’ont pas la possibilité de payer, pour diverses raisons. Pour ne parler que de l’Algérie, le paiement on-line par carte bancaire n’est pas encore disponible. Sans parler du risque de se faire voler son numéro de carte, ce à quoi il n’existe pas encore de parade rassurante. Le tout payant est privilégié par le magnat Rupert Murdoch, entre autres.

Heureusement que les avis divergent et que différents courants sont représentés. A contre-courant de Murdoch, Jimmy Wales opte pour la gratuité et le partage de l’information. Je sais comme lui que les réseaux sociaux tels Facebook n’ont pas été conçus par militance humanitaire. Ce sont de colossales banques de données destinées à être vendues aux e-traders. Les données personnelles des adhérents sont autant d’informations qui permettront de cibler les clients potentiels en fonction de leurs goûts et de leurs affinités. Sûrement pas en fonction de leurs besoins. Le besoin étant, depuis longtemps, créé par le vendeur pour être proposé à celui qui ne l’éprouve pas.

Pour ce qui est des droits d’auteurs et de la propriété morale, il faut distinguer entre plagiat et emprunt. Le premier est répréhensible, le second est acceptable du moment qu’il n’est pas lucratif et qu’il mentionne la source.

Je me joins à certains participants au e-G8 Forum et je soutiens la fin de l’anonymat, pour barrer la route à ceux qui injurient en se cachant derrière des pseudos plus prétentieux que les contenus de leurs commentaires. Cependant, la fin de l’anonymat doit être accompagnée de mesures garantissant la liberté d’expression. Faute de quoi, l’interface Web sera le plus grand indic au service des dictateurs. Demander à ce que des ONG, comme Human Wrights Watch, soient partenaires de ce projet est peut-être optimiste, mais l’ONU ou le e-gouvernement devrait exiger la possibilité de rester anonyme, pour les internautes des pays classés comme dictatures.

Le monde est plus urbanisé, plus connecté. Ce qui n’a pas changé et qui ne changera pas, c’est qu’il y a des leaders et des suiveurs. Au bout de ce premier bilan, je suis plutôt pour le e-trading. Le tout étant de savoir se positionner au niveau de cette nouvelle toile afin de ne pas être exclu du ‘e’ après l’avoir été du ‘G’.



Notes :
1. Parmi les participants au e-G8 Forum de mai 2011 : Jeff Bezos (Fondateur et PDG d'amazon.com) ; Rupert Murdoch (PDG de News Corporation et propriétaire de MySpace) ; Eric Schmidt (Président exécutif de Google) ; Jimmy Wales (Cofondateur de Wikipedia) ; Mark Zuckerberg (Cofondateur et PDG de Facebook).

2. Voir le rapport de la CNUCED pour 2010 sur http://www.unctad.org/en/docs/wir2010_en.pdf p.176.

3. Cf. Intervention de Michel Serres pendant l’émission Ce soir ou jamais du 26 mai 2011, sur France3.

4. A titre d’exemple, le déficit commercial des Etats-Unis est d’environ 1 500 Mds de dollars et va en augmentant.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire