dimanche 8 mai 2011

Patrimoine martyr de Constantine




C’est le mois du patrimoine et on expose quelques maquettes et de vieilles photos de Constantine. Des documents iconographiques auxquels on fait prendre l’air un mois sur douze faute de moyens et de projet. L’effort est tout de même à saluer de la part d’éternels bénévoles comme les membres de l’association des Amis du Musée de Constantine. On aura remarqué qu’il n’y a pas besoin de préciser quel musée parce qu’il n’y en a qu’un. Ce n’est pas un déficit. Il n’y a pas besoin de musée supplémentaire pour une ville musée dont les habitants sont les reliques. Des reliques physiologiquement vivantes et animées (pas que de bonne intentions) qui détériorent elles-mêmes leurs écrins.

Au Palais du Bey, des erreurs sur le fond et la forme sont lisibles sur les panneaux de vulgarisation. Des panneaux recouverts de plastique qui a commencé à s’étirer avant même l’ouverture officielle du palais, après des travaux qui ont duré plus de vingt-cinq ans. A titre d’exemple, on peut lire que El Armaoui a été écrit en arabe : العـرموي  alors que la bonne orthographe est : الأرمـوي. La personne qui a écrit cela doit avoir été recrutée sur une annonce qui mentionnait en filigrane : « Compétent s’abstenir ».




La circonscription archéologique a enterré la Société Archéologique de Constantine avec ses vestiges et cette dernière devrait elle-même faire l’objet de fouilles. Si on ne fouille pas, c’est parce que cela coûte, encombre et ne fait pas jaillir de pétrole. Peut-être aussi parce qu’on a peur de découvrir des choses qui déplaceraient la date de création de l’Algérie à avant 1962 et même avant 1832, date d’intronisation du fondateur prétendu de l’Etat algérien. Et lorsqu’il arrive qu’on trouve des choses en faisant des travaux, on coule du béton par-dessus. C’est plus pratique et plus rapide pour réaliser un tramway censé avoir été livré en 2010 et dont les rails gondoleront dans un an parce que les sous-sols ne sont ni drainés si consolidés.

La ville est tenace. Elle tient absolument à son statut de gardien somnolent d’un patrimoine qui se rogne chaque année un peu plus. On pourrait penser qu’on s’occupe peu du patrimoine parce qu’on favorise ce qui est actuel. Eh bien non. Pour preuve, l’actuel directeur de la culture refuse de subventionner les associations musicales qui s’adonnent au jazz ou au rock’n’roll, sous prétexte que ces musiques n’appartiennent pas au patrimoine local. Possible que ces jeunes musiciens sont dans l’illégalité par le fait même d’aimer une musique qui vient d’ailleurs. Ils n’ont donc pas le droit de bénéficier des deniers publics que leurs parents ont contribué à nationaliser et qui sont destinés à ces activités. A moins que ce ne soit le côté contestataire du rock qui dérange. Bizarre parce qu’aujourd’hui, même le chef de l’Etat laisse le critiquer, se moquer de lui et le caricaturer. Comme quoi, ce ne sont pas les plus haut placés qui mettent des bâtons dans les roues.

Parallèlement au patrimoine matériel et immatériel que revendique Constantine, un autre patrimoine immatériel existe mais il est tu. Je parle du patrimoine qu’est l’ensemble des valeurs que nous ont légué nos ancêtres. Je donne un exemple. Dans la médina, communément appelée souika, les maisons avaient toutes la même couleur, la même hauteur et la même façade. Ceci pour ne pas faire étalage de sa richesse et pour favoriser la mixité et la cohésion sociales. Cette richesse n’était pas interdite mais cachée et le faste de ceux qui pouvaient en avoir se trouvait à l’intérieur, après avoir franchi une sorte de sas (la sqîfa), un espace tampon qui permettait de maximiser l’intimité. De même, les murs porteurs des maisons de la médina s’appuyaient les uns contre les autres. Ainsi, si le mur du voisin s’effondrait, on était obligé de l’aider à le retaper sous peine de voir s’effondrer le sien. Les anciens habitants ont-ils construit comme ça parce qu’ils ne maîtrisaient que cette technique ? Pas sûr. Si ça se trouve, ils avaient sciemment opté pour ce mode de portance et de renfort mutuel pour pousser leurs successeurs à s’entraider. Conclusion, la médina n’a pas commencé à se délabrer lorsque ses habitants ont déménagé vers la ville coloniale après l’indépendance. Elle a commencé à se délabrer lorsque ses habitants ont cessé d’être des voisins.

Malheureusement, le « après moi, le Déluge ! » gagne du terrain. On gare sa voiture sur le trottoir et tant pis pour les piétons. On jette ses ordures au pied des arbres et tant pis pour les enfants qui jouent là. Etc., etc.

Je viens à peine d’assister à la conférence de M. Sahli sur Salah Bey. Une idée de M. Azzi, répercutée par Souad Khelil de la Direction de la Culture de Constantine. Le nombre de personnes qui ont assisté à la conférence n’était pas grand et même la radio locale a fait acte de présence puis est repartie. Je suis intervenu pour faire remarquer que l’Histoire de Constantine ne commence pas avec la venue des Ottomans. J’ai également émis le vœu de voir les prochaines éditions du mois du patrimoine dédiées à des thèmes précis comme L’époque hafside, par exemple. L’efficacité serait plus grande et on en apprendrait plus sur ces périodes mal connues de notre passé.

Le fait de porter sur un évènement un regard critique, destiné à secouer et à faire réfléchir, ne veut pas dire qu’il ne faut pas y participer. J’ai donc accepté de donner une conférence le 10 du courant mai dans le cadre du mois du patrimoine. Patrimoine oblige, je parlerai de l’héritage musical mais aussi de perspectives. Je ne tenterai pas de relancer le Conseil Consultatif Culturel qui se contentait d’organiser des concerts. J’avais prévu son échec lors d’une émission radiodiffusée et cela m’a valu d’être privé de participer à l’Année de l’Algérie en France. Je ne tenterai pas, non plus, de remettre sur la sellette l’association Conseil du Malouf de Constantine dont je suis président. Cette association n’a jamais été agréée à cause de l’hégémonie d’un ancien haut responsable local envers le professeur Hocine Benkadri, initiateur de l’idée. Je ne me lamenterai pas, trop de Constantinois le font et je ne suis ni le premier ni le dernier des évincés. Je valoriserai puis j’essaierai de sensibiliser et de réveiller. Après cela, il appartiendra à chacun de se complaire dans la nostalgie ou d’acter dans le champ culturel de la ville. Il faudra juste que chacun assume ses responsabilités face aux générations futures. J’ai envie de demander à feu Tahar Ouettar : Et si les martyrs revenaient en ce mois du patrimoine, se lamenteraient-ils ? Peut-être demanderaient-ils qu’on coule du béton sur leurs tombes. Peu importe que le tramway passe par-dessus ou non, pourvu que le béton soit insonorisé.





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