samedi 14 mai 2011

Hadj Abderrahmane, un dramaturge en rire




Régulièrement, les télés algériennes rediffusent les films de Hadj Abderrahmane (1941-1981), alias Inspecteur Tahar. Son film à succès, les Vacances de l’Inspecteur Tahar1 (1973), est chaque fois plus censuré, à en devenir court-métrage. Vigilance de sainte nitouche qui guette le moindre smack. Fausse pudeur, quand tu nous tiens !



L’enfance difficile de Hadj Abderrahmane et ses débuts au théâtre le destinaient tout naturellement au drame. Quand on est cameraman, on apprend à observer les gens dans le détail et il a compris que les messages passent mieux avec le rire, même s’ils ne seront par compris par tous. Je vois sa courte scolarité comme la manifestation de sa clairvoyance précoce. Il avait compris qu’il ne servait pas à grand-chose de faire de longues études.

De courte vie et filmographie, il n’a pas été nominé aux festivals algériens de cinéma, mort-nés après lui. A l’image d’un certain festival de Annaba, avec un Jujube d’Or (Annaba vient de annab : jujube) pour récompenser les meilleurs. Je ne sais pas si le festival s’est arrêté par bétonnage au dessus des jujubiers. Je sais que les Egyptiens participaient en force et que la froideur des relations, entre l’Algérie et le plus grand producteur cinématographique arabe, ne donne pas la relance pour demain2. La même froideur a poussé les télés algériennes à ne plus diffuser de feuilletons égyptiens. A la place, elles diffusent des telenovelas doublées dont les héros ont les yeux bridés. L’approvisionnement depuis l’Asie n’est pas uniquement parce que la culture de l’Est n’est pas celle d’un ex colon. Le prix y est pour quelque chose.

Parlant des salles de cinéma algériennes, celles-ci sont vétustes. Il ne serait pas très intelligent de les remettre en état pour qu’elles fonctionnent comme avant. Elles ne pourraient pas être équipées pour des spectacles à technologies nouvelles comme le cinéma en 3D. Je serais enclin à en faire des théâtres pour enfants, puissent ces derniers inculquer l’esthétique qu’ignore l’école. En Algérie, l’avenir est au home cinéma via internet. Deux problèmes relativement surmontables se poseront : la faiblesse du débit et les droits d’auteur. Le sujet est long et j’en parlerai plus tard inch’Allah, parallèlement au Festival de Cannes.

Les Vacances de l’Inspecteur Tahar se déroule en grande partie dans les complexes ex touristiques algériens. Un vestige des splendeurs du passé, quand l’accueil était chaleureux et l’eau coulait dans les robinets. Il n’y avait pas de télécommandes dans les chambres mais mes commandes étaient honorées. Comme quoi, la technologie ne peut pas améliorer le quotidien lorsque la mentalité le pourrit. Depuis, ces hôtels sont devenus quasiment tous des lieux de débauche où des cuistots servent la même chose que ce qui se mange dans les gargotes. Service comateux, nappes mitées et addition salée en sus.



C’était l’époque où chaque côte avait son unique complexe touristique comme chaque région maraîchère son village agricole et sa portion d’autoroute. Ca permettait d’aller avec son tracteur passer la journée au café du village pendant que les femmes travaillaient la terre à la pioche. C’est toujours de mise, du reste. Les Sociétés Nationales étaient déficitaires, la Banque Centrale payait les salaires des improductifs et on distribuait les bénéfices sous caméras et applaudissements. La belle époque, paraît-il. Quand j’entends des universitaires algériens dire que « si Boumediene était vivant, on n’en serait pas là », je me dis que instruction et réalisme font deux. Ce qui ne m’empêche pas de reconnaître l’intégrité de l’homme.

Dans le film, à l’Inspecteur Tahar que dérangeait le bon niveau d’instruction de son Apprenti (Yahia Ben Mabrouk), ce dernier dit : « Si tu ne veux pas perdre ta place, fais des études ». Depuis, le message a bien été entendu et les diplômes ont été tirés à la série et en veux-tu en voilà. Une université du soir a même été fondée pour ça, qui n’exige ni présence ni baccalauréat.

L’Apprenti, compétent, polyglotte et subalterne au cancre, délivre un message clair : les instruits n’ont pas d’horizon lumineux face à eux et les plus calés sont souvent décalés. Ultime dénigrement, l’Apprenti se fait rabrouer quand il dit vrai. Un exemple est dans la scène saharienne où le duo file, en voiture, madame Watson et son compagnon.

-          On dirait la mer et les vagues. Dit l’Inspecteur, en parlant du désert et des dunes.
-          Et nous, nous sommes à bord du bateau, Inspecteur.
-          Ça y est. Le soleil commence à te taper sur la tête, toi.




Le scénario tourne en dérision certains caractères bien de chez nous. Par exemple : la logique à l’algérienne qui attend que la portière de la décapotable s’ouvre alors que le voleur a déjà sauté par-dessus. Ou encore : l’anti-tact de réprimander Khalti Traki et son fils Aloulou alors qu’ils sont chez eux. Mieux : le fait de faire gratuitement du mal à son collègue et compatriote et de se délecter à l’idée qu’il va passer la nuit en prison. Le goût pour la chair de jeunette n’est pas en reste et est dénoncé lors de la scène où le vieillard tremblotant cherche à se marier. Dans un autre film, La Souris (1968), un témoin répond aux questions de l’Inspecteur Tahar par des questions, au point de l’énerver.

-          Vous connaissez cet homme ? Demande l’inspecteur, en montrant une photo.
-          Pourquoi ?
-          Est-ce que vous le connaissez ?
-          Que lui voulez-vous ?
-          On a besoin de lui parler.
-          Pourquoi faire ?
-          Vous allez répondre, oui ?
-          Répondre à quoi ?

La technique est identique à celle qu’un juif apprend à Louis de Funès dans les Aventures de Rabbi Jacob (1973 aussi). Commune aux sémites ? Qu’elle le soit ou non, c’est pratique dans certaines circonstances mais agaçant quand ça devient la norme.

Sept ans après la mort de Hadj Abderrahmane, jour pour jour, de jeunes algériens marchaient dans la rue pour se faire tirer dessus. Des Bouazizi avant l’heure qui ont amené un multipartisme qui est multiplication arithmétique des mêmes tendances démagogiques. On ne peut que le croire lorsque les partis les plus populistes ne présentent plus de candidats et soutiennent, ipso facto, celui du système.

S’il était encore vivant, il aurait été déçu de voir que ceux que ses films font rire, n’ont rien compris et continuent au quotidien d’être eux-mêmes matière à cette dérision. Peut-être aurait-il tourné un film sur les jeunes qui rouspètent ou sur les harraga. Ou alors, baissé les bras pour prendre les rames. Je crois qu’il serait parti en règle et ce n’est pas un hasard s’il s’est éteint à Paris. A l’âge de la sagesse.



Notes :

1. Réalisation de Moussa Haddad, scénario de Hadj Abderrahmane, musique de Ahmed Malek.

2. Partis en Egypte supporter leur équipe nationale, des Algériens se sont fait agresser par des Egyptiens. Après réplique des Algériens, l’incident a pris une ampleur d’affaire d’Etat lorsque des avocats égyptiens ont brûlé le drapeau algérien sur une place publique. C’était en 2009, pendant les qualifications pour la Coupe du Monde de Football 2010.




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