jeudi 12 mai 2011

Laissez-les donc partir




La révélation par Mediapart a soulevé un petit tollé, si caractéristique des démocraties qui se portent bien. A la moindre rumeur, on tire. L’approche des élections présidentielles n’est pas étrangère à ce haro sur Laurent Blanc et il a fallu que s’implique l’emblématique Zinédine Zidane pour confirmer que Laurent est Blanc comme neige.

Et dire que ce doué du soulier a failli jouer au sein de l’équipe nationale algérienne de foot. Eh oui ! Notre sélectionneur national de l’époque, Abdelhamid Kermali, l’avait trouvé banal et pas assez rapide. Je me demande ce qui ce serait passé si Zizou avait remporté la coupe du monde avec l’Algérie parce que Aimé Jacquet l’avait refusé. En Algérie, il ne s’est pas passé grand-chose. Quelques journalistes lui ont tiré dessus à ballons brûlants mais il est resté en place. Il paraît qu’il n’y avait aucun autre sélectionneur algérien pour le remplacer. Si, mais ils étaient partis s’installer à l’étranger.

Cette affaire de quotas serait-elle une autre bourde, après celles de Jean-Marie Le Pen et de Georges Frêche ? Au vu de ce qui a été révélé jusqu’à aujourd’hui, je ne vois pas où est le racisme et si tel s’avérait être le cas, la fédération s’en chargerait. Par contre, je sais que lorsqu’on s’inquiète de savoir à qui profiteront ceux qu’on forme, c’est preuve de réflexion. Et quand on s’en inquiète avant de commencer à les former, c’est preuve de bon sens. Rien à voir avec notre « On verra ! » de ceux qui préfèrent s’échauffer les paumes que les neurones.

En Algérie, les compétences s’acquièrent et se délocalisent sous l’œil bienveillant des gouvernants. C’est presque à regretter une époque où tout était planifié. Ni le triennal ni le quinquennal n’avaient donné les résultats escomptés mais, au moins, il y avait intention d’exploiter après avoir formé. Autrement dit, il y avait de la place pour le rêve. Le rêve existe toujours mais celui de bâtir a cédé la place à celui de partir. Nombre de nos sportifs performants a arrêté de rêver et s’est installé à l’étranger. Et pas que les sportifs. En 2008 on a avancé le chiffre de 100 000 cadres algériens qui profiteraient aux économies non algériennes1. Le nombre a explosé, depuis.

Le gouvernement algérien fuit en avant. Parce qu’il a peur de la remettre en cause, la démocratisation de l’enseignement supérieur le pousse à une course sans fin vers la fourniture de sièges pédagogiques et la construction de nouveaux centres universitaires. Toujours plus. Les filières proposées sont un listing des spécialités demandées par les entreprises hors territoire, sans relation avec les besoins de l’économie locale. L’université est devenue une gigantesque machine à produire des chômeurs, mal formés de surcroît. Et je ne parle pas des post gradués dont les thèses ressemblent à des exposés de premier cycle.

Au lieu de s’entêter à former des ingénieurs qui ne serviront à rien, il faut former les techniciens d’application et les artisans dont nous avons besoin. Aujourd’hui, pour chaque poste proposé, les ingénieurs et équivalents postulent par treize à la douzaine. A contrario, il suffit que votre siphon éclate et vous prendrez conscience de la rareté des bons plombiers. Des tas de médecins sont au chômage quand il est difficile de trouver un kiné. Les ingénieurs électroniciens abondent quand manquent les réparateurs de télécommandes. Les ingénieurs mécaniciens chôment alors qu’il est très difficile de trouver un bon meccano, capable de retaper une voiture sans oublier des pièces en remontant le moteur.

Il n’est pas nécessaire de former autant et aussi loin. L’Algérie est l’un des rares pays au monde qui forme autant d’ingénieurs, relativement à sa démographie. C’est aussi le seul pays au monde qui recrute comme enseignants pour enfants ceux qui ont échoué dans leurs études. Autant planter les graines blettes et espérer faire bonne cueillette.

De toutes les réformes que pourrait lancer un gouvernant, l’éducation est sans nul doute la plus difficile. Elle est la plus difficile parce qu’en plus de devoir engager des moyens colossaux, il faudrait rattraper la faiblesse du niveau de ceux qui ont passé le cap de l’école. Sans compter ceux qui l’ont quittée sans aucune formation et qui sont candidats au hitisme. Essayer d’engager cette réforme équivaut à déclencher un tsunami contestataire. De la part d’enseignants dont une partie devrait elle-même redevenir écolière et dont une autre partie devrait choisir entre enseigner ou donner des cours particuliers obligatoires à toute la classe, les bons élèves compris. A l’appréhension, s’ajoute le fait de se savoir en déficit de légitimité et la peur d’être déclencheur de contagion par les révoltes limitrophes. La pérennité ira probablement au système au détriment de la pérennité de l’Etat. Pour le secours et dans l’immédiat, je serais plutôt pour le rappel de nos bons vieux instituteurs.

Difficile d’imaginer la taille du chantier. Néanmoins, mieux vaut tard que jamais et ce n’est pas parce qu’une génération a été pédagogiquement immolée que les suivantes doivent l’être. Le problème pourrait commencer à être traité s’il était d’abord reconnu et la fuite en avant est le syndrome de ceux qui n’ont pas de palliatif à proposer.

Concernant les cadres déjà bien formés, je suis d’accord avec le gouvernement algérien au moins sur un point : Si on ne sait pas quoi faire d’eux, laissons-les partir. Certains leurs demandent de faire du lobbying2, passe pour ça. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui leur demandent de rentrer. Je sais que, même en étant ici, ils ne seraient pas totalement coupés du monde. Cependant, leur retour les rendrait subalternes à ceux qui se cachaient au fond des classes quand eux brillaient. Ils mourraient de morosité chronique ou seraient contaminés par l’endémique obsolescence cérébrale.




Notes ;

1. Le professeur Mustapha Khiati, président du FOREM, avait avancé le chiffre de 100 000 cadres algériens installés à l’étranger. Propos rapportés par la Quotidien d’Algérie, édition du 14.12.2008. D’après Mourad Medelci, la plupart ne prend même pas la peine de s’inscrire sur les registres des ambassades et consulats. Seuls 15 200 le feraient. Cf. http://hogra.centerblog.net/6582075-cadres-algeriens-installes-a-l-etranger

2. Cf. Appel de Ahmed Ouyahia, rapporté par le Quotidien d’Algérie dans son édition du 25.12.2008.



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