samedi 25 juin 2011

Diplômer c’est aussi tromper


En France, le monde de l’éducation est secoué par la fuite d’un des sujets du baccalauréat scientifique. Certains voudraient l’attribution de la note complète (4 points) à tous les postulants. Des parents d’élèves rassemblent 15 000 signatures (par Internet) et les envoient au ministère de tutelle pour rouspéter contre la décision du ministre de maintenir les épreuves aux sujets non divulgués. D’autres se demandent s’il ne faudrait pas supprimer pour de bon l’examen du bac, pour évaluer les lycéens sur la base de résultats étalés sur toute l’année. Au-delà des interpellations et des revendications qui ne concernent que les Français, certaines questions sont planétaires.

Dans l’exemple du bac français de cette année, la photo du sujet divulgué aurait été prise par un téléphone portable et transmise par MMS avant d’être publiée sur Internet. La déconcertante facilité du procédé pose la question de savoir s’il ne serait pas opportun d’interdire les téléphones portables et les appareils électroniques dans des endroits comme celui où se fixent ou s’entreposent les sujets du bac. Plus généralement, ces appareils devraient être moins facilement tolérés dans les endroits sujets à l’espionnage, industriel ou autre. Le danger avait déjà été signalé mais avec un faible écho, notamment pour les possibilités de porter atteinte à la vie privée des gens. Autrement dit, la possibilité pour un citoyen ou un touriste de jouer au paparazzi pour surprendre, vendre et étaler. La question a été oubliée dès qu’on a compris que les people (puisqu’ils sont les cibles des paparazzis) sont ravis d’être surpris. Mieux, ils s’inquiètent de ne pas l’être ou planifient la surprise.

Sur la question de savoir s’il ne faudrait pas supprimer le bac, la question est plus que d’actualité. Elle répond au souci de résoudre un problème connu de tous les bacheliers : le trac de l’examen le plus préoccupant de toute la scolarité. Je vais plus loin et je dis que, dans le proche futur, même le diplôme deviendra un mythe. Les secteurs publics embaucheront de moins en moins et les employeurs seront de plus en plus des privés. Y compris pour la sous-traitance de tâches habituellement du ressort des Etats, comme les services postaux, la vidéosurveillance ou le ramassage des ordures ménagères. Ce qui a déjà commencé dans pas mal de pays.

Les employeurs privés ne se satisferont plus d’un papier incapable de garantir la compétence rentable qu’ils attendent de leurs recrues. Les plus talentueux décrocheront les postes même s’ils n’auront pas de diplômes. N’échapperont à la généralisation de ce mode de sélection que les diplômés des grandes écoles. Ce qui aura pour conséquence de pousser ces grandes écoles à se gérer comme des entreprises, tenues de résultats chiffrés et communiquant plus avec son extérieur. Beaucoup de pays ont aussi entamé cette phase de capitalisation de l’université.

D’autres raisons démythifieront le diplôme. Les disparités entre les niveaux d’enseignement dans le monde rendent douteux les diplômes délivrés par une institution mal connue de l’employeur. Ce qui est le connu problème des équivalences. Une autre pratique rend douteux les diplômes, à échelle mondiale. Dans les pays fortement corrompus, le pot de vin et le service de chair remplacent souvent le théorique contrôle continu des connaissances. En Algérie, où le président de la république lui-même a reconnu que les diplômes nationaux ne valent rien, je connais une licenciée en langue française qui se fait un devoir de commettre au moins une faute par ligne sur un texte au thème de son choix. Et je ne parle pas de ces contrôlés étudiants en économie qui ont disserté sur le « facteur micro géographique dans les économies locales » en le décrivant comme un métier difficile, surtout dans les communes enclavées. En fait, ils parlaient de monsieur le facteur qui distribue le courrier postal en faisant la tournée des boîtes aux lettres. Edifiant !

Le diplôme sera également démythifié car beaucoup le considèrent, à tort, comme une simple garantie de compilation d’un nombre minimum d’informations. Or, la compilation des informations se fera de plus en plus par le réseau le plus démocratique qui est Internet. Des encyclopédies en ligne, alimentées par des spécialistes ou par tout le monde comme la critiquée Wikipedia, remplaceront les traditionnels lieux de stockage d’informations comme les bibliothèques physiques. Pour ceux qui confondent savoir et connaissance, pourquoi le diplôme serait-il alors le seul garant de la recherchée compilation ?

La bonne université n’est pas celle qui se contente de compiler des informations. La bonne université est celle qui compile les informations et qui apprend la méthodologie. Confronté à un problème qu’il n’a jamais rencontré, le bon ingénieur est celui qui s’ « ingéniera » à trouver la meilleure solution en utilisant les formules théoriques et pratiques qu’il a acquises à l’université. Le mauvais ingénieur, c’est-à-dire le plus couramment rencontré, baissera les bras après avoir vainement cherché la solution à son problème exact, dans les antécédents techniques de ses homologues. Ce qui n’empêchera pas qu’il puisse être un bon technicien d’application. Dans cette considération, des pays comme l’Algérie devraient délivrer moins de diplômes d’ingénieurs et en exiger moins pour les entreprises qui, nous le savons, n’en ont pas besoin.

Parler du diplôme amène à parler de ce qui est visé par ceux qui veulent le diplôme, à savoir le travail. Pour le chômage, la minoration des chiffres statistiques n’est pas la solution. La solution doit être produite avant ses propres statistiques et je la vois à 6 volets.

1er volet : Les institutions de formation doivent former moins longtemps et en donnant plus de place aux stages pratiques.

2ème volet : La polyvalence doit être une aptitude décrétée. Chaque formé devra apprendre un métier parallèlement à sa formation de base. Par souci de pratique, le deuxième domaine peut très bien être en rapport avec le premier mais il doit être essentiellement appliqué.

3ème volet : Les gouvernements doivent simplifier les procédures de création d’entreprises. Le premier problème que rencontrent les jeunes qui veulent se mettre à leur compte étant celui de louer un local. Dans le cas de l’Algérie, le gouvernement devrait interdire que les propriétaires de locaux commerciaux exigent le paiement à l’avance du loyer de tout le bail. Payer au mois le mois, en déposant une caution de 3 mois de loyer, serait bénéfique. Les moyens de coercition destinés aux mauvais payeurs sont faciles à mettre en place.

4ème volet : Les gouvernements doivent autoriser les micro entreprises aux activités non dangereuses à être créées à domicile. Tout micro entrepreneur pourrait ainsi monter son affaire en sollicitant moins les banques et en puisant moins dans sa tirelire et dans celles de ses proches. Un exemple algérien, l’Ordre des Architectes, à qui le gouvernement à délégué la charge d’organiser la profession, exige un local pour toute Etude alors même que la loi ne l’exige pas. Les « petits » architectes pourraient très bien exercer une architecture de proximité en travaillant avec les particuliers, y compris pour les réfections et les réagencements.

5ème volet : Le système édité à répétition par les gouvernements et qui oblige à une scolarité obligatoire, généralement jusqu’à 16 ans, doit être repensé. Je suis pour la scolarité obligatoire. Seulement, est-on obligé d’étudier jusqu’à cet âge pour réaliser ensuite qu’on est fait pour un métier artisanal ? Dans l’artisanat, les apprentis n’apprennent jamais mieux le métier qu’en commençant tôt. Cela peut être considéré comme une forme de scolarité et être assujetti à des mesures garantissant la non exploitation de l’adolescent, en lui évitant les tâches exténuantes, entre autres. D’ailleurs, rien n’empêche que cette formation soit ponctuée de cours « classiques » dans une école. Cela veut dire que ledit adolescent sera suivi par les institutions qui chapeautent l’éducation et la formation professionnelle. L’échec scolaire sera réduit, le chômage moins massif et le nombre de « hitistes » diminué. Les économies locales gagneront aussi en diversifiant la palette des métiers et des débouchés pour leurs populations. Pour un adolescent clairement non prédestiné aux études secondaires ou universitaires, porter quotidiennement un cartable de 20 kg et passer des heures assis sur un banc d’école est plus fatiguant que d’être dans un atelier d’artisan.

6ème volet : En conséquence du précédent, les programmes de scolarité primaire et moyenne doivent également être repensés. Ils doivent être plus diversifiés, par des visites aux ateliers d’artisans par exemple, afin de détecter les talents et de susciter les vocations, le plus tôt possible. Cela permettra moins d’erreurs d’orientation et moins de sorties d’école sans formation. D’ailleurs, devant la réalité qui ne cesse de les contredire, même les organisations internationales, comme l’Unesco, devraient se pencher sur la question.

Si les gouvernements ne sont pas en mesure de procurer du travail à tous ceux qu’ils obligent à s’instruire ou à se former à leur manière (celle des gouvernements), alors qu’ils les laissent au moins choisir leur voie, en concertation avec les tuteurs et les conseillers pédagogiques. Se développer, c’est s’adapter continuellement. Seulement, aucune adaptation ne peut réussir en étant basée sur des chiffres erronés ou sur la crainte d’être internationalement montrés du doigt. Si des pays comme l’Algérie continuent à fuir en avant de peur de reconnaître les erreurs passées, leurs statistiques seront dangereusement contredites par les rapports des organes de l’ONU et par leurs harraga. S’ils ne prennent pas le taureau par les cornes et s’ils le décrètent éternel veau, ils risqueront quand même encornés. Après le printemps qui n’est plus seulement arabe, les muletas ne seront alors pas de grand secours.


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