jeudi 23 juin 2011

L’art dans quelques uns de ses états


L’art se discute

L’Institut National (français) du Patrimoine vient d’organiser un colloque traitant de la réplique des œuvres d’art. Dans un article en ligne, Jean-David Raynal rapporte l’avis de ceux qui soutiennent que la copie dans l’art a des vertus. Sans donner l’impression d’y adhérer, l’auteur cite les exemples d’une promenade aux pieds du Sphinx reconstitué et au nez retrouvé ou d’autres monuments totalement reconstitués à force de remplacer les éléments dégradés. L’auteur parle aussi de ces fausses œuvres qu’on présente aux visiteurs, de peur que les authentiques ne soient dégradées ou volées. Ce dernier argument est discutable. Par contre, justifier le secret de la copie dans l’art par la peur de ne plus attirer les visiteurs, s’apparente au mensonge. De là, se pose une question : si l’art est l’expression d’une sensation sincère ressentie par un artiste, comment pourrait-il se passer de la vérité ?


L’art s’imite

L’homme a toujours essayé de copier l’œuvre de l’autre. La fascination l’y pousse et l’infériorité réelle ou perçue de son talent l’y oblige. Aussi souvent, c’est la volonté de duper en vendant une fausse œuvre qui pousse à copier. Dans l’urbanisme, l’homme a souvent été tenté ou poussé à construire ce qu’il enviait chez les autres et qu’il ne possédait pas. Ainsi, Las Vegas a été la première ville moderne à copier les monuments les plus célèbres du monde, voire des quartiers entiers de villes, comme les canaux de Venise. Plus tard, Dubaï en a fait de même et certaines villes nouvelles chinoises reconstituent des rues parisiennes ou carrément le Château de Versailles. C’est bien de s’ouvrir sur le monde, mais, on peut aussi valoriser sa culture d’abord. Les déserts du Nevada et d’Ar Rub’ al Khali ne sont pas vraiment déserts et ne sont sûrement pas déserts culturels.

Et les œuvres d’art, comme certaines peintures, rééditées à des millions d’exemplaires. Quelle horreur ! Je ne parle pas de l’artisanat. Contrairement à une idée reçue, ce dernier ne réédite pas les œuvres, même si peu les relient à l’art. Un artisan ne fait jamais la même chose et il y a toujours des petites nuances dans les objets qu’il produit et qui les distinguent les uns des autres.

Un seul cas échappe à l’abjection de la reproduction exacte. Celui où l’artiste fait appel à la manufacture pour éditer en série une œuvre destinée à l’usage physique. Comme la lampe « Pipistrello » de Gae Aulenti ou la chaise « Fourmi » de Arne Jacobsen.


L’art épate

Aligner les sourires pop art de Marilyn Monroe sur un mur de son salon n’est que vantardise culturelle. Essayer de faire sourire la Joconde chez soi est vanité. Quel que fut (pardon, que soit) son véritable nom, Mona Lisa ne sourit qu’à ceux qui la regardent elle et pas ses sosies. Après Léonard de Vinci et François Ier et d’autres, elle attend sagement dans la Salle des Etats où elle ne dort jamais et ne cligne pas plus des yeux, pour sourire, rassurer, narguer ou partager la tristesse de ceux qui prennent la peine de venir la voir, quel que soit l’angle de vue de ces derniers. C’est cela leur force, à elle et à Léonard.

Les Joyaux aussi sont des œuvres d’art. Je peux comprendre qu’une femme ne porte pas tout le temps ses joyaux. Le risque de banalisation s’ajoutant à celui de se faire détrousser. Je peux comprendre que les joyaux faisant partie du patrimoine d’une monarchie soient copiés pour simuler et répéter des cérémonies. Par contre, la galanterie ne m’empêchera pas de dire que porter des copies de ses joyaux est signe de mauvais goût. Pire, c’est signe de mépris envers ceux qui sont censés les voir car on considérera qu’ils ne sont pas assez connaisseurs pour se rendre compte de la supercherie. L’art du joaillier perd donc de sa sincérité.


L’art s’empile

Les collectionneurs d’œuvres d’art sont des égoïstes. Je ne parle pas des philatélistes, des numismates et autres ferrovipathes, je parle des collectionneurs d’œuvres d’art uniques en leurs genres. Pourtant, cet égoïsme est à la fois malfaisant et bienfaisant. Malfaisant parce qu’il prive les autres d’admirer et bienfaisant parce qu’il stimule l’imagination à propos de ce qu’on n’a pas vu mais dont on a entendu parler. Certains finissent par prêter ou donner leurs collections aux musées. Les musées sont donc des distributeurs d’art et des freineurs d’imagination.


L’art se vulgarise

Le récit de voyageur a été le premier à décrire l’art à ceux qui ne l’avaient pas vu. Puis vinrent d’autres véhicules comme la photographie et la télévision. Comme toute invention, la télévision a des avantages et des inconvénients. Elle fait oublier aux gens qui vivent ensemble de se parler mais elle rend possible de voir des œuvres d’art sans se déplacer. Internet va plus loin. Grâce à lui, on commence déjà à voyager devant son clavier, survolant les villes en hélicoptère ou visitant des sites touristiques avec des vues à 360°. Le tout en véhicule par haut débit et à pied par faible débit. Comme avant, en fait. Ironiquement, HTML signifierait toujours HyperText Markup Language à haut débit mais signifierait Haltes et Temps Mort à Loisir à faible débit. Comme chez nous.


L’art se « virtualise »

L’art devient virtuel. Ainsi, il se démocratise en permettant aux démunis de visiter des musées en étant devant un micro-ordinateur. Actuellement, les touristes virtuels peuvent déjà visiter le Colisée de Rome, l’Acropole d’Athènes ou le Musée du Palais Impérial de Pékin sans bouger de chez eux. Le réalisme n’est pas encore au top mais on se fait une idée. Plus, on n’est pas obligé de suivre les circuits tracés par les conservateurs et les radins peuvent oublier le guide. Bientôt, on pourra peut-être visiter virtuellement des sites archéologiques et des musées en examinant les œuvres sous toutes les coutures et en en 3D, comme un privilégie autorisé à manipuler les œuvres d’art sans risque de les détériorer. Or, une œuvre d’art c’est aussi une sensation visuelle transmise par la couleur et la texture autant que par la forme. L’image de synthèse devra donc gagner plus de réalisme. Cela pourrait être le début d’un véritable tourisme virtuel palliatif au tourisme de masse, coûteux, pollueur et dégradant. L’actuel tourisme virtuel n’étant pas au point. L’idée n’est pas du tout saugrenue et beaucoup y ont déjà pensé.


L’art se mercantilise

Pour des raisons compréhensibles, les œuvres d’art se volent. Massivement pendant les guerres et les révolutions comme en Irak ou en Egypte. Elles sont l’objet de trafic. Dans le futur, on tentera de faire voir l’art en ligne moyennant pécule. Dans ce contexte, il faut se rappeler le premier e-G8 de 2011 et les bases qu’il a jetées. La complexité des réseaux Internet et la résistance à la globalisation rendront la chose très difficile, voire impossible. Les e-traders tenteront alors d’emballer leurs offres de visites virtuelles dans un pack touristique plus complet et plus alléchant. Beaucoup de sociétés écrans appâteront et/ou arnaqueront, à renfort de publicités mensongères et de vendeuses pas très couvertes. S’il se met en place, ce genre de tourisme risque de nuire aux professionnels du tourisme, dira-t-on. Il faut être un peu imaginatif pour rétorquer que non. Les actuels voyagistes pourraient eux-mêmes proposer ces voyages virtuels et c’est aux Etats que reviendrait la tâche de protéger le secteur contre la web concurrence. D’où nécessité d’un minimum de protectionnisme. Quant à l’hôtellerie et à la restauration, elles essuieraient une crise et même la restauration locale verrait son chiffre d’affaires chuter car les locaux mangeraient de plus en plus chez eux à cause du travail à domicile. Par Internet, notamment.


L’art s’efface

Le plus bel art n’est il pas éphémère ? A la sortie de chez le coiffeur, l’œuvre sera détruite par l’oreiller ou par la croissance capillaire. Dans la rue, des artistes de valeur, dont l’autodidactie contredit le monopole de l’université sur la transmission du savoir, dessinent au sol et à la craie ou tagguent les murs à la bombe. La sol sera lavé et les murs recouverts d’une autre peinture, plus rassurante pour la société qui ne veut pas voir ses maux. Qu’ils soient récompensés de piécettes ou d’amendes, ces deux arts sont indéniables et infiniment contemporains.


L’art se vit

Grâce à la grandeur de la petitesse du quotidien, l’art pourrait se vivre à chaque instant et ne plus rester aussi élitiste. Il le pourrait si tout un chacun ajoutait une touche artistique à ses gestes. Ce serait magnifique d’entendre un bonjour musical d’un non musicien ou de remarquer le geste chorégraphié d’un non danseur. Peut-être cela ne pourra-t-il pas être le fait de tout le monde et peut-être qu’il en est mieux ainsi. N’empêche que cet art quotidien est là pour ceux qui veulent bien le voir. S’en rendre compte c’est recevoir la révélation que l’art est en chacun de nous. C’est de nous qu’il vient avant d’être figé en instantanés durables par les artistes. Cet art là, personne ne pourra nous le prendre.

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