lundi 13 juin 2011

Peurs de la vie



Les gens ont peur. Ils ont peur de tout et de rien. Ils ont peur des étrangers, de la religion, des téléphones portables, de la folie bovine, de la grippe aviaire, de la canicule, du froid, du concombre, de la mondialisation, de la mort. En résumé, ils ont peur de la vie. A force de prétendre pouvoir tout sécuriser, les sociétés modernes ont fait oublier à l’homme qu’il peut se défendre par lui-même, qu’il doit savoir le faire et que la vie sans risques n’existe pas. Pire, plus elle est sans risques et plus elle est dangereuse, parce qu’elle désarme en faisant oublier comment se défendre. Comme un corps humain qui n’est jamais agressé et qui oublie de fabriquer ses anticorps. Je ne fais pas l’éloge du risque. Je dis que la peur est pathogène et qu’elle fortifie les sources de la peur. Je m’explique.

Lorsque les lieux publics sont désertés par les gens, suite à menaces d’attentats, le terrorisme se dope et se voit pousser des cornes pour mieux ruer. Lorsqu’on change de chemin pour échapper à des harceleurs, ils sont encouragés à faire plus et ils viennent vous guetter sur votre nouvel itinéraire.

On peut comprendre qu’un Etat comme Monaco soit hyper vidéo sécurisé car il suffit de traverser la rue depuis la commune française de Beausoleil pour être chez les Monégasques. Par contre, l’expérience britannique en matière de vidéo sécurisation a démontré le peu d’efficacité du tout sécuritaire. Les caméras ont permis d’identifier les auteurs des attentats de Londres de juillet 2005 mais n’ont pas permis de sauver les victimes.

La peur de E. coli (Escherichia coli) est compréhensible car la bactérie (ECEH) contenue dans les graines germées a tué 33 personnes. Des morts injustement mises sur le dos des Espagnols pour ne pas voir son propre dos en Bavière. Là où se cachait la bactérie qui a dissuadé les Européens de manger 5 fruits et légumes par jour. La bactérie serait due à un manque d’hygiène dans la ferme bavaroise incriminée ou à l’importation de semences infectées. Un nouveau dos, plus oriental, celui-là. En parlant d’hygiène, je me rappelle ce responsable constantinois des ressources hydriques, à qui on avait reproché de laisser les eaux usées se déverser dans un barrage d’eau potable, avait rétorqué que, sans cela, le débit en amont serait de 18 litres par seconde au lieu des 40 qu’il assurait. Ne parlons pas de certains maraîchers algériens qui arrosent leurs cultures avec les eaux usées. Si les Européens qui ont boudé sains concombre, salade et tomate, vivaient en Algérie, ils ne boiraient que de l’eau minérale et se mettraient définitivement aux barres multivitaminées.

Autrement, l’OMS a annoncé qu’elle venait de classer les appareils émetteurs d’ondes comme probablement cancérigènes. On s’en doutait un peu. Le risque viendrait des téléphones mobiles, des « téléphones sans fil, des appareils Wi-Fi, des micros sans fil, des ampoules basse consommation, des fours à micro-ondes, des plaques à induction, des émetteurs de radio ou de télévision, des antennes-relais, des émetteurs de police ou de pompiers, des radars ». Par ailleurs, l'OMS a classé « 900 agents et substances, présents dans des produits de consommation courante », comme aussi risqués que les ondes. Les risques viendraient du progrès, en somme. Sachons que la fumée d’un moteur diesel est plus dangereuse que tout ce qui vient d’être cité. Au fait, les pesticides et les OGM ne sont-ils pas dangereux, eux ? En fait, ils ne sont pas dangereux pour les multinationales.

Parallèlement à l’impossibilité d’abandonner toute cette technologie, sauf par désindustrialisation forcée et fausses prévisions de l’OPEP, le débat sur la fiabilité des études commanditées par l’OMS et les organismes gouvernementaux de santé, est lui aussi relancé. Essentiellement pour dénoncer, encore une fois, le financement des études sur les risques que pourrait présenter un produit, par les industriels qui le fabriquent.

Questionné sur la solution à cette contradiction, l’expert Pierre Meneton [1] dit que « La première solution immédiate serait d'obliger toute agence faisant une expertise à évaluer séparément les études financées par l'industrie et les études financées par d'autres sources ». « Il faut chercher une solution dans un cadre relativement public, sans jamais oublier que la science a besoin de temps, de calme, de tranquillité et de sérénité pour être efficace » [2].

La question n’est pas de savoir s’il faut abandonner les produits de la technologie du sans fil, comme les téléphones portables. Elle est de savoir si on peut s’en passer et, si non, comment faire pour minimiser les risques. Pour le moment, il est juste « conseillé » d’adopter une certaine hygiène d’utilisation dont la première mesure est d’utiliser, autant que possible, kit mains-libres et SMS. Pour dire la relativité des normes, l’OMS classe comme gros utilisateurs les personnes qui parlent par téléphone portable pendant 30 minutes par jour et pendant 10 ans. Dans ce cas, seuls peuvent être classés comme petits utilisateurs, ceux à qui on a menti en les persuadant qu’ils avaient besoin d’un gadget inutile. J’ai également entendu un spécialiste conseiller la fréquence d’utilisation suivante pour le téléphone portable : 3 minutes de communication puis 30 de non utilisation, et ainsi de suite. Déjà, rien qu’en huit heures par jour, cette fréquence d’utilisation vous fait classer gros utilisateur puisque vous aurez parlé au téléphone portable pendant 42 ou 45 minutes. Puis, à écouter ce spécialiste, je m’imagine l’efficacité d’un trader à la bourse ou d’un adjoint à commissaire-priseur lors d’une vente aux enchères avec des acheteurs potentiels au téléphone.

En Algérie, certains jeunes désoeuvrés auraient trouvé le moyen d’en finir avec le marasme de leur vie et avec leur vie tout court, en ayant le téléphone portable collé à leur oreille en permanence. Ils savaient donc déjà ? Une fois, un ami grosse gueule m’avait dit que si le suicide était licite en islam, les suicidaires constantinois se retrouveraient seulement un mètre plus bas en sautant du pont suspendu de Constantine, haut de 175 mètres. Toute la hauteur du précipice serait remplie de cadavres.

Dans les systèmes modernes de gestion urbaine, le tout sécurisé est une proposition idéale mais irréalisable. Les pays trop sécurisés comme la Suisse, où un tire-boulette serait suffisant pour commettre un hold-up, sont tout simplement barbants.

Les gens d’avant avaient peur aussi. Ils avaient moins peur parce qu’ils avaient peur de ce qui leur arrivait à eux. Aujourd’hui, ils ont peur de ce qui leur arrive à eux et de ce qui arrive aux autres. La faute aux média ? Non, la faute à personne. Enfin, si, à ceux qui surmédiatisent. C’est le revers de la médaille de la facilité de circulation de l’information.

Un verre n’est jamais à moitié plein ni à moitié vide. Il est les deux à la fois. Ne pas sécuriser c’est abandonner. Trop sécuriser c’est désarmer. Alors, trouvons la voie médiane.



Notes :

1. Pierre Meneton est expert au département de Santé publique et d'Informatique Médicale (SPIM) de la faculté de médecine Paris Descartes (Paris 5).

2. Interview accordée à Le Point.fr  (lien interactif perdu)

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