mercredi 29 juin 2011

Réformes en Algérie, propositions simples ou utopiques



Depuis un mois, on remet en cause la capacité de Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la Nation, à synthétiser les réformes dont celle de la constitution algérienne. Bensalah était controversé avant mais, cette fois, la raison est la révélation de sa supposée origine marocaine. D’après Mohamed Sifaoui, dans son livre Bouteflika, ses parrains et ses larbins, qui vient de paraître aux éditions Encre d’Orient, il aurait été naturalisé en 1965.

L’éventuelle origine étrangère de Abdelkader Bensalah n’est pas un argument sérieux dans sa controverse. S’il est réellement d’origine étrangère, l’important c’est qu’il est maintenant algérien et je ne crois pas que la révélation remette en cause son patriotisme. D’ailleurs, Abdelaziz Bouteflika lui-même est né dans la banlieue de Oujda, au Maroc, contrairement à ce qui est dit. Les relations entre l’Algérie et le Maroc n’en sont pas pour autant au beau fixe. Quant au régionalisme polarisé autour de Tlemcen (la région de Bouteflika et de Bensalah, entre autres), le président algérien lui-même a reconnu sa réalité sans nommer la région qui a le vent en poupe. D’ailleurs, il n’a pas besoin de le faire. Je ne cautionne pas le régionalisme mais je me demande pourquoi les journalistes ne trouvaient rien à redire quand le pouvoir était quasi réservé aux gens de l’Est dont était originaire El Houari Boumediene.

Dans le smog politique des réformes annoncées et au regard du tournant dans lequel se trouve l’Algérie, beaucoup d’analystes oublient d’adopter une vision plus générale avant de rentrer dans les détails. Faire une analyse globale serait long et prétentieux de ma part, par contre, je me permets de dire que les réformes attendues ne peuvent pas être à la hauteur des attentes du peuple, venant de personnes qui feront tout pour préserver leurs acquis. Je ferai donc quelques remarques destinées à placer les choses dans un contexte général.

La première remarque est relative à la nécessité de remettre en cause la légitimité des fondateurs du système en pensant aux réformes que leurs héritiers sont censés mener. On ne réforme pas ce qui est génétiquement gauche pour ne pas dire malformé. Politiquement parlant.

La deuxième remarque est pour attirer l’attention sur le principe selon lequel nous avons besoin des autres comme les autres ont besoin de nous. Le partenariat doit être une constante. Des analyses qui crient à l’OPA par les puissances étrangères sont fondées sur le principe, mais irréalistes sur les propositions. Quel pays pourrait se passer de composer avec les grandes puissances ? Plutôt que d’essayer vainement de s’en détacher, il faut dialoguer avec. Les relations pourraient être du genre « Vous voulez du pétrole, nous voulons du savoir-faire ». On dira que c’est déjà ce qui se dit. Je réponds : pas toujours. Trop souvent, les relations cèdent le pas à l’attribution mutuelle de la faute originelle (pour un certain pays seulement) ou au bradage de l’économie nationale pour une poignée de dollars.

Le problème dans la programmation des consultations actuellement menées par Bensalah, c’est qu’elles appellent à contribution des organisations et des personnalités nommées par le pouvoir en place et de son obédience. Qui pourrait dire, aujourd’hui, que l’UGTA (principal syndicat algérien) représente les travailleurs ? Plus qu’une plaisanterie, c’est une injure, et je tire chapeau bas à son secrétaire général de ne pas être déjà mort de honte. Il paraît qu’on s’habitue à tout.

Demander qu’on donne la parole aux harraga et aux hitistes, comme le fait l’indéfinissable Yasmina Khadra, est démagogique. Les harraga et les hististes ne veulent pas s’entretenir avec Bensalah. Ils veulent moins de bureaucratie et plus d’emplois. Moins de corruption et plus de pouvoir d’achat. En résumé, ils veulent de la dignité et de l’espoir. Demander qu’on donne la parole à la société civile algérienne est une gageure car cette dernière est aussi peu organisée qu’une masse de vendeurs sur un marché informel. Restent les partis politiques d’opposition parmi lesquels les vrais se comptent en ne finissant pas les doigts d’une seule main.

Sur le plan politique

Bien que fondamentale, la réforme politique est celle qui aura certainement la petite part. Néanmoins, à travers les attendues propositions de lois sur les partis politiques, elle reconduira les coalitions plébiscitaires et n’aura pas le courage de demander la réhabilitation des partis historiques injustement taxés de traîtrise, comme le MNA.

Idéalement, il faudrait une constituante, comme le demandent certains dont Hocine Aït Ahmed. Des états généraux dans le genre de Sant’Egidio, qui se tiendraient en Algérie et auxquels participerait le FLN. Cela n’aura pas lieu car le parti au pouvoir (et ses dérivés) ne remettra jamais en jeu sa préemption et son unicité pralinée au multipartisme.

Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Le « tiens » s’appelant Abdelkader Bensalah et le « tu l’auras » ne portant pas encore de nom, voici quelques propositions qui pourraient être jugées utilement simples ou niaisement utopiques. A part celles touchant aux privatisations de la santé et de l’éducation, les autres sont faciles à mettre en pratique et auront le mérite de rendre plus humain le quotidien des citoyens.

Pour la lutte contre la bureaucratie

En Algérie, les formalités ne s’effectuent qu’au bakchich ou au piston. Pourquoi avoir besoin de connaître quelqu’un dans telle ou telle administration pour obtenir ce que de droit ? Eh bien, le système algérien a habitué les administrateurs à ne donner ce droit qu’en montrant au demandeur qu’on lui a rendu service. De façon à gagner potentiellement un service de la part de celui qu’on a « aidé ». Le paradis des bureaucrates.

Propositions :

1. Généraliser le retrait de formulaires administratifs par Internet.
2. Généraliser la carte d’identité biométrique en y incluant le NIS.
3. Supprimer les pièces attestées par la carte biométrique elle-même : extrait de naissance, résidence, nationalité.

Pour l’éducation et la formation

La privatisation des entreprises publiques était une nécessité parce qu’on ne perfuse pas un mort au sérum. L’ouverture de l’enseignement général (et de la médecine, d’ailleurs) aux investissements privés est une grossière erreur. Parallèlement, les jeunes éjectés du système scolaire n’on rien à faire de la terminale qu’ils ont théoriquement atteinte et qui ne débouche sur aucun métier.

 Propositions :

1. Fermer les écoles privées d’enseignement général.
2. Mettre en place un système de favorisation des doués et surdoués tel que celui qui consistait à leur faire sauter des classes.
3. Détecter les vocations dès le cycle d’enseignement moyen pour orienter en cas d’échecs scolaires répétés.
4. Interdire aux enseignants des cycles primaires, moyens et secondaires de donner des cours particuliers. Exiger des professeurs de cours particuliers de répondre aux normes de sécurité de classes et de payer des impôts. N’autoriser les cours particuliers que pour les enseignants ayant une longue expérience dans l’enseignement et des taux de réussite élevés dans les classes qu’ils avaient.
Pour l’emploi

 Propositions :

1. Supprimer les monopoles pour les agences d’emploi.
2. Supprimer l’obligation de résider dans le secteur administratif du lieu de travail souhaité. Les communes où sont implantées les entreprises de l’industrie des hydrocarbures doivent faire l’objet d’une législation spécifique qui ne remettra pas en cause l’unité nationale.
3. Autoriser la création de micro entreprise à domicile. Créer une agence privée d’emploi on-line est un exemple des possibilités pour la micro entreprise.
4. Donner accès au change du dinar en devises aux PME privées qui envoient leurs stagiaires se former dans des pays développés. La qualité en sera rehaussée et le coût sera plus supportable pour les employeurs. La sélection des PME bénéficiaires peut se faire sur la base des efforts évalués en chiffre d’affaires et en progression dans le recrutement.

Pour la santé

L’ouverture de la médecine hospitalière aux investissements privés est aussi une erreur. Je ne nie pas que la privatisation a apporté une modernisation dans l’équipement et dans l’aménagement des locaux. Cependant, le patient est vu comme un chéquier sur chariot et on n’hésite pas à plumer ceux qu’on sait condamnés.

 Propositions :

1. Fermer progressivement les hôpitaux et cliniques privés au profit de la réhabilitation des hôpitaux publics.
2. Interdire aux laboratoires privés d’analyses médicales d’ouvrir des antennes car un laboratoire d’analyses n’est pas une chaîne de supermarchés.

Pour l’information

Les acquis de la presse algérienne dérangent mais ils sont la garantie de ne pas être classé parmi les dictatures. Le gouvernement le sait déjà et ne doit pas revenir dessus.

 Propositions :

1. Supprimer les peines de prison ferme pour les journalistes.
2. Ouvrir le champ audiovisuel et radiophonique aux investissements privés ou mixtes.

Le printemps arabe est une occasion historique pour les Algériens. Plus grave que se tromper est de refaire les mêmes erreurs. Je parle aussi bien des erreurs de la décennie sanglante que de celles qui l’ont précédée ou suivies. Aujourd’hui, les Algériens sont devant deux options.

Dans la première, ils prennent le train en marche même si le conducteur de la locomotive n’est pas crédible. Dans ce cas, la vigilance est requise et tout n’est pas acceptable à l’avance. Le problème qui se posera sera le trucage des urnes lors de l’annonce des résultats du referendum qui, on le sait, dira oui. Le taux dudit oui exprimera le degré de respect qu’éprouve le pouvoir à l’égard du peuple, en proportion inverse. Resterait alors la manifestation pacifique mais personne ne peut dire si elle tournerait à la tunisienne ou à la libyenne.
Dans la deuxième, ils rejettent, par avance, le rapport Bensalah sur le fond et la forme. D’ailleurs, certains boycottent les consultations lancées par Bensalah. Cette option semble d’ores et déjà peu prometteuse vu que les manifestations se font moins denses et que la commission Bensalah est au travail sans regarder par la fenêtre et sans consulter la liste des absents.

Plus personne ne nie les impardonnables dérives qui ont ancré l’actuel système. Les gens du système en reconnaissent aussi les dérives mais, généralement, seulement après en avoir été éjecté. Qu’on se rappelle que ce système a été enfanté par une révolution, et pas des moindres. La véritable révolution n’est pas celle qui change les privilèges de mains, elle est celle que tout un chacun doit mener contre lui-même. Pour penser aux autres en pensant à lui-même et pour parfaire son travail même lorsque personne ne le surveille. Mais, cette révolution là, personne ne veut la faire.

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