dimanche 26 juin 2011

Omar les a aider


Après les livres Omar m’a tuer : Histoire d’un crime de Jacques Vergès, Pourquoi moi ? de Omar Raddad, L’affaire Omar Raddad de François Foucart et La construction d’un coupable de Jean-Marie Rouart, voilà que Roschdy Zem prend le risque calculé de relancer le débat sur l’affaire Omar Raddad. Le scénario de son film Omar m’a tuer est applaudi par certains et condamné par d'autres, en avant première, comme l’avait été Hors-la-loi de Rachid Bouchareb. Ce qui n’a pas empêché ce dernier d’être projeté lors du Festival de Cannes 2010. Au sujet qui ressurgit, d’autres livres seront écrits et d’autres émissions dédiées.

Pendant et après sa détention, écourtée par grâce partielle de Jacques Chirac et intervention de Hassan II, Omar Raddad en aura aidé plus d’un. Les journalistes usent claviers et prompteurs, les écrivains et les cinéastes se font la course pour la primauté et les marcheurs de rue abusent du participe passé « tuer » forcé à l’infinitif, pour infiniment dire qu’ils se considèrent comme boucs émissaires des réformes politiques, économiques et sociales.

Je ne m’étalerai pas sur les éléments qui plaident l’innocence ou la culpabilité de Omar Raddad mais le procès et sa couverture médiatique m’ont rappelé que les affaires où sont impliqués des Arabes musulmans ou des Juifs déchaînent toujours les passions. Lorsqu’on appartient à une communauté victime, on étale sa faiblesse pour susciter la compassion. Or, les minorités sont toujours victimes. Les unes plus que les autres, ou vice-versa, en fonction de l’ancienneté d’immigration et du classement sur la liste aryenne des problèmes de la république. La pire des variantes est celle où un musulman est opposé à un Juif. Là, non seulement les passions se déchaînent, mais le conflit israélo-palestinien trouve une arène de plus dans laquelle les tenants oublient presque leur cause à eux pour s’autoproclamer délégués porte-drapeaux du Proche-Orient. Les Aryens, eux, jubilent de l’aubaine.

Ceux qui n’appartiennent pas à ces minorités, se saisissent de leur actualité pour prendre position ou juste pour ne pas qu’on les oublie. Dans l’affaire de l’expulsion des Roms, qui, Dieu merci, n’a pas fait de morts, les positions on été radicales. Quelques uns ont demandé l’expulsion de tous les voleurs, pardon, de tous les Roms. Les clichés ont été ressortis et la stigmatisation a cédé la place à l’amalgame : après les Roms, les Gens du Voyage ont été montrés du doigt alors qu’ils n’étaient pas concernés et qu’ils criaient leur différence. S’il fallait expulser tous les voleurs, tout pays expulserait une bonne partie de ses plus sédentarisés citoyens. Il y a des voleurs chez les Roms comme il y en a parmi les autres communautés. Pas plus et pas moins.

D’autres ont pris la parole pour demander la régularisation de tous les Roms, après les trois mois de séjour réglementaire. Il n’est nul besoin de dire que c’était difficile à concevoir et que l’administration était en droit de traiter les demandes au cas par cas. Ce qui est à relever, c’est que les reproches faits à l’administration n’étaient souvent motivés que par la volonté de contredire et de traiter de racistes ceux qui ne voulaient pas céder aux médiatiques accès de méchanceté ou de sympathie. On reproche toujours à l’autre ce qu’on soigneusement oublié de faire quand ont était à sa place. Dans beaucoup de pays européens, un des exemples les plus édifiants est la question de l’ouverture des listes électorales aux candidats noirs ou d’origine maghrébine. L’opposition réclame la diversité ou, plus rarement la parité, mais la passe sous silence dès qu’elle revient au pouvoir.

Je reviens à la victimisation pour donner deux exemples français. En 2006, lorsque Ilan Halimi a été assassiné, on a dit qu’il ne l’a été que parce qu’il était Juif. Environ un mois plus tard, lorsque Chaïb Zehaf a été assassiné après le match OL-Ajaccio, on a dit qu’il ne l’a été que parce qu’il était Arabe. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de racisme dans ces deux assassinats. Je dis qu’il est possible qu’il y ait eu quelque chose de plus derrière le racisme. Chez les personnes qui émettent des jugements officieux et à chaud dans ce genre d’affaires, le racisme peut être prétexte à l’erreur, la fixation ou à la complicité mais, du point de vue de la morale, je me demande ce que pourrait changer sa race ou sa religion à l’innocence ou à la culpabilité de quelqu’un. Je comprends qu’elle soit, pour un avocat, une « astuce » comme une autre pour essayer d’innocenter le client payeur. Cependant, si les média doivent continuer à véhiculer l’information et à donner la parole, ils doivent aussi faire preuve de plus de professionnalisme quant au temps d’antenne accordé aux avis divergents.

La mort d’une personne est toujours un drame, quoi qu’il fût de son vivant. Néanmoins, il faut que les gens arrêtent de manifester pour influer sur les jugements éventuels et qu’ils laissent la Justice faire son travail. Quant à l’argument racisme, qui peut être opportun, rien n’empêche, le moment venu, que les procureurs, les avocats ou les témoins l’avancent.

Dans quelques mois ou quelques années, l’affaire Raddad sera peut-être qualifiée de défaitiste pour avoir été confiée à Jacques Vergès et de prétentieuse pour avoir espéré décrocher le label « Dreyfus ». D’ici là, il n’est pas impossible qu’elle soit réexaminée, sans passions ni pressions, j’espère. Le parquet de Grasse vient de demander qu’on établisse « un profil génétique à partir des traces d'ADN relevées sur la scène du crime ».

Il en reste déjà une question que certains posent : La société ne gagnerait-elle pas à permettre aux accusés de mener leur contre-enquête, comme c’est le cas aux Etats-Unis ? Je crois que oui, tout en dénonçant le système de cette même démocratie, qui « hollywoodise » le menottage de l’accusé en attendant qu’il prouve son innocence.

Et une deuxième question que personne ne pose pour le moment : Un juré citoyen « ordinaire » est-il vraiment en mesure de juger alors qu’il est susceptible de céder à sa passion au lieu de se limiter aux faits établis ? Alors qu’il est susceptible de confondre probabilité et certitude ? Rendre justice est l’affaire de gens formés et obligatoirement blasés de sentiments, sans en être nécessairement dénués. Des conditions sine qua non à l’impartialité, âme de la Justice. Si elle doit faire preuve de lucidité et de discernement, la Justice doit aussi se bander les yeux par-dessus sa balance symbole, à l’égard de la côte des intellectuels qui prennent position et de l’ampleur des manifestations de soutien ou de dénonciation.

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