vendredi 24 juin 2011

L'Afghanistan après l'Occident



Barack Obama vient d’annoncer qu’il allait progressivement retirer ses soldats de l’Afghanistan, comme il l’avait promis en 2009. Immédiatement, le Royaume-Uni a soutenu la décision et la France a annoncé qu’elle allait également retirer ses forces de renfort. D’ici à fin 2014, il ne devrait plus y avoir de soldat occidental en Afghanistan. L’écho donné par le Royaume-Uni et la France au retrait états-unien ne prouve pas que les forces de ces deux pays ne sont pas autonomes. Ni celles des autres pays, d’ailleurs. Le fait est que ces troupes sont seulement là en renfort et que, à elles seules, elles ne peuvent pas tenir. D’autant que les Talibans gagnent du terrain depuis quelques années, nonobstant les analyses optimistes de certains journalistes occidentaux. Combattre le terrorisme est l’affaire de tous, cependant, la guerre à l’Afghanistan est avant tout celle des Etats-Unis contre les Talibans et les justifications de son déclenchement restent, à ce jour, discutables.

Avec cette annonce de confirmation de retrait, Obama gagne sur plusieurs fronts. Il tient parole, satisfait les 56% d’états-uniens qui voudraient que leurs soldats stationnés en Afghanistan rentrent au pays, coupe l’herbe sous les pieds de ceux qui lui reprochent de dépenser 10 milliards de dollars par mois en Afghanistan, il se libère pour sa campagne électorale pour 2012 et il sort du match entamé par son prédécesseur en ayant été celui qui a éliminé Ben Laden. Que de bons points.

Alors, quelle suite pour l’Afghanistan ? Hamid Karzaï a applaudi la décision de Obama parce que son autorité sera renforcée par le départ des conseillers états-uniens à l’administration afghane qui ne lui ont pas toujours laissé la préemption de décision. Cependant, il sera seul face aux Talibans qui se souviendront qu’il a contribué à la chute de leur régime (1996-2001). Ils seront tentés de revenir au pouvoir, ou, à défaut, de le partager avec l’actuel président. Les Talibans à Kaboul ou alors chacun dans son fief, expansions souhaitables et accrochages attendus. Afin d’encourager les Talibans à se différencier d’Al-Qaida, le Conseil de Sécurité de l’ONU a « officiellement » décidé de ne plus considérer Talibans et Al-Qaida comme une seule et même entité. S’ils reviennent au pouvoir, les Talibans pourront à nouveau interdire aux filles d’étudier sous peine de leur couper le nez et les oreilles. Conformément à une charia qui leur est propre, puisque Mahomet (qsssl) n’avait jamais interdit aux filles d’étudier. Une charia locale qui permet aussi de transporter les femmes en burka dans les coffres des Lada soviétiques aux amortisseurs peu galants. Je suis habituellement contre la parité hommes-femmes dans les institutions, parce qu’elle peut faire dire que les femmes accèdent aux postes grâce aux quotas et non grâce à leurs compétences. Exceptionnellement, je bénis l’adoption de cette parité en Afghanistan car, au rythme ou évoluent les choses, les femmes ne devraient accéder aux postes importants que dans plusieurs décennies.

Mais qu’en est-il des intérêts géostratégiques états-uniens en Afghanistan ? Plus précisément, comment Obama compte-t-il garantir la sécurité des pipelines qui traverseront le pays en venant du Kazakhstan ?

Dans le scénario le plus probable, les Etats-Unis abandonneraient définitivement le tracé passant par l’Afghanistan. Le relief montagneux rendant le réseau difficile à construire et à entretenir. De plus, l’instabilité de la région (le Pakistan est considéré par beaucoup de stratèges comme le pays le plus instable au monde) n’encourage pas au maintien dudit tracé. Les pipelines passeraient alors vers l’ouest, en direction de la mer Caspienne.

Dans le scénario le moins probable, le retrait progressif permettrait de gagner du temps dans une situation d’enlisement et de redéploiement des Talibans, afin de se libérer pour les élections présidentielles, puis revenir par un quelconque prétexte, en ayant changé de tactique.

A noter que, quel que soit le scénario retenu, les Etats-Unis pourront toujours envoyer leurs multinationales et leurs services secrets pour « proposer » pipelines ou projets de développement. A coup sûr, ils garderont un œil sur l’Afghanistan. De même, ils n’excluront plus une possible intervention militaire en Iran, pour empêcher le nucléaire militaire et garantir les libertés individuelles en façade, pour garantir la mainmise sur le pétrole iranien en coulisses. Par la même occasion, Israël serait plus rassuré par la présence des Etats-Unis ou de coalisés sur le sol de celui qui voudrait rayer l’Etat hébreu de la carte. Une fuite en avant, car la seule véritable garantie de sécurité pour Israël est de faire la paix avec ses voisins en commençant par reconnaître officiellement l’Etat palestinien. Mais il n’y a pas qu’Israël qui serait rassuré par cette présence en Iran. L’Arabie Saoudite aussi le sera, elle qui craint le pire depuis l’annonce du retrait des troupes occidentales d’Afghanistan. Tout cela se dessinera en fonction des évènements à venir et, si la réélection de Obama ne devrait pas être une surprise, la nouvelle carte géopolitique du Proche-Orient est moins évidente à pronostiquer. En cours ou à venir, les révolutions arabes changent la donne en inaugurant une période d’incertitude qui sera suivie d’une période d’instabilité.

Je ne peux pas m’émerveiller de la présence américaine en Afghanistan mais, ce qui me consterne le plus, c’est qu’au regard de la situation économique et socioculturelle du pays, ce dernier ne dispose pas des outils nécessaires à son essor après 2014. Certes, le pays dispose d’une agriculture qui fournit environ la moitié du PIB, mais la culture du pavot (qui donne l’opium) en constitue la plus grande partie. Le pays dispose aussi de réserves de gaz et de minerais mais le réseau routier inexistant ou en mauvais état rend leur exploitation difficile. Le chemin de fer n’existe pas. A cela, il faut ajouter un taux d’alphabétisation faible (moins de 40%). Quant au tourisme, il faudra l’oublier pour le moment.

On dira que, même sans la guerre, le pays est enclavé et essentiellement montagneux, d’où son faible développement. Je réponds en donnant l’exemple de la Suisse qui est aussi enclavée et montagneuse, pour dire que c’est l’Histoire du pays qui lui fait prendre une bonne ou une mauvaise direction. La seule chose qui est évidente, c’est que le facteur qui pèsera le plus dans la pacification afghane sera le citoyen afghan lui-même et les Afghans ne s’en sortiront que s’ils font durer la paix et que s’ils entament la bataille la plus dure, celle du développement. Plus qu’avant, ils auront besoin de l’aide des autres pays et la diminution attendue de ces aides risque de replonger le pays dans le chaos en tentant la population de montrer son mécontentement par le soutien à ceux qui peuvent chasser Karzaï, c’est-à-dire les Talibans. On ne peut pas ne pas le craindre quand on sait que 97% du PIB de l’Afghanistan dépend de la présence de troupes étrangères et des organisations humanitaires.

L’Afghanistan est actuellement un bourbier international. Les forces de la coalition perdent de plus en plus d’hommes et sont confrontées aux tensions qui montent dans leurs propres pays. Des négociations sont en cours entre les différents acteurs présents sur la scène, entre les Etats-Unis et les Talibans, notamment. C’est déjà une bonne chose. J’espère que, d’ici 2014, les Afghans auront définitivement pris le chemin de la paix et du progrès. Plus aucun drone ne balancera de bombes, plus aucune statue de Bouddha ne sera dynamitée, les filles continueront à s’instruire sans être mutilées, les réfugiés pourront se réinstaller chez eux et tous les otages seront libérés.

Et si les Etats-Unis comprenaient enfin que leur politique étrangère a été le plus grand facteur d’émergence et de montée du terrorisme islamiste dans le monde ? Bien sûr qu’ils le savent déjà. Je ne m’étends pas sur la question qui m’amènerait à parler de la confrontation entre la globalisation et l’altermondialisme. Quelle que soit l’issue de cette confrontation qui connaîtra nombre de batailles, les sociétés civiles, y compris dans les pays musulmans, auront une responsabilité large ou limitée mais certaine. Gratuitement mais sincèrement, non seulement je me permets de rêver de lendemains meilleurs pour l’Afghanistan et pour le reste du monde mais, en plus, je dis Amen.


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