vendredi 3 juin 2011

Festivals de mots



Je découvre, cette année, l’existence du Festival du Mot. Depuis 2005, il se tient annuellement à La Charité-sur-Loire, en France. Un autre Printemps, près de Bourges. A chaque édition, La Charité-sur-Loire charrie les mots pour diagnostiquer au langage ses maux. La ville n’est pas inconnue de l’Histoire. En 1429, Jeanne d’Arc, par plusieurs cordes à son arc, se replia vers La Charité-sur-Loire, sans dormir ni s’endormir comme loir sur Loire.

Dommage que France Télévisions ne relaie pas le Festival, lui (le Groupe) qui s’est refait une toilette. Daniel Picouly a définitivement fermé son Café où l’on consommait des boissons aromatisées aux mots, au milieu de fort agréables bruits culturels. Picouly, suave de voyelles en coulis, n’a pas picolé mais roucoulé pour mots écouler sans acculer. Dans son Café, sous consonnes qu’on sonne on croulait sans couler. Il est où Picouly ?

A propos, pourquoi les francophones ont-ils abandonné l’inversion du sujet et du verbe dans les formes interrogative et interro-négative ? Je comprends qu’on élide, qu’on abrège et qu’on écourte. Le monde va de plus en plus vite et l’on n’a plus le temps de parler lentement. Le temps, c’est de l’argent, et pas que sous lune argentée, aurait dit Raymond Devos. Nonobstant, l’inversion, elle, n’occasionne aucune perte de temps. Cette recherche permanente du court indique que la langue française est en train de se réformer. C’est signe de vie. Charles de Gaulle se serait donc trompé en la croyant définitivement irréformable. Lui qui était passé à la Cinquième République, n’avait pas prévu que la république passerait la cinquième. La vitesse.

Je reviens à France Télévisions. Dans l’émission où les mots insomniaques piquent d’aigus, de graves et  d’accents, Laurent Ruquier se débarrasse des deux Eric critiques, Naullau et Zemmour. Un duo spécialisé dans la lipofusion par lingu-puncture [1]. Si j’étais responsable marketing chez Slim Fast, je leur demanderais de faire une publicité dans laquelle ils diraient que leurs critiques sont presque aussi amincissantes que les mixtures commercialisées par ma société. Le problème dans ce genre d’émissions c’est que si on y va, on est masochiste et si on n’y va pas, on est poltron. Ruquier va ramener un chroniquer de droite et un de gauche, pour bras. L’équilibrage prouve que l’émission se politise encore plus et j’espère qu’elle n’évacuera pas la culture. La défection de Zemmour est une perte. Ses propos sur les statistiques policières, mal formulés et interprétés, lui en ont fait voir des vertes et des pas mûres sans que cela n’adoucisse son acidité. D’autant que les vertes n’étaient pas toutes étoilées, comprenne qui voudra. Il ne devrait pas réagir par le jusqu’au-boutisme car c’est comme ça que commence la dérive.

Lors de ce septième Festival, on a élu « dégage » comme « Mot de l’année 2011 ». On est également revenu sur les mots qui ont fait l’actualité de la politique française, comme « racaille » ou « fissa ». Tiens, le mot fissa me rappelle les années quatre-vingts durant lesquelles la mode algérienne était au rappel de l’origine arabe des mots francisés ou hispanisés. Pendant la Coupe du Monde de Football de 1982, les commentateurs algériens se faisaient un devoir de prononcer ‘Ouedi-l-hidjâra’ et non pas ‘Guadalajara’, par exemple. Quand on ne produit plus, on rappelle ce qu’on avait produit. Aujourd’hui, le phénomène est inverse et on arabise les termes de la langue de l’ancien colonisateur. On leur applique alors les règles de conjugaison arabe. Les expressions ne sont pas en reste et, traduite, celle de « la langue de bois » a martelé nos tympans pendant une décennie, pour être finalement abandonnée. Littéralement, seulement.

Dans son éditorial on-line (veulliez excuser l’anglicisme), Alain Rey, Président d’honneur du Festival, dit que « Sauver les mots, c’est un peu sauver le monde. Les soigner, leur rendre leurs pouvoirs perdus ou dévoyés, c’est faire acte de thérapeutique et, on peut le dire, d’écologie globale. » A Constantine, le festi-val (festi = mensonge) ne se clôture pas. Les mots sont grands et gros mais varient et actent peu ou prou. L’inné sens de la démesure ne se satisfait que de superlatifs. Que de mots à maux. Mis au pied du mur, ceux qui profèrent prétendent que « ce ne sont que des mots ». Ne savent-ils donc pas que les mots déclenchent conflits et guerres ? Le prophète Mahomet (qsssl) avait conseillé à un compagnon qui dédaignait la surérogation, de compenser ce déficit de piété en tenant sa langue.

La charité ma bonne cité Constantine ! Toi qui te prétends héritière de civilisation orale qui aurait fait ton Histoire. Cesse de trahir tes ascendants. Même l’arabe classique, censé être châtié, est châtié avec le Bescherelle de l’anti-grammaire. Moi, pour ne plus voir maux ou entendre mots, j’évite le centre de la cité et n’ouvre les volets de ma chambre que le soir. Rien que pour la langue, quatre cents Académiciens et dix Bernard Pivot ne nous suffiraient pas pour édicter et dicter.


Note :
1. « Lipofusion » et « lingu-puncture » sont deux termes qui n’existent pas dans la langue française. Ils ont été inventés par l’auteur pour les besoins de l’article.


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